samedi 18 novembre 2017

La disparition de Josef Mengele et L'ordre du jour

Méfiance, l'homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes. C'est par cette phrase que s'achève le Prix Renaudot 2017 d'Olivier Guez, "La disparition de Josef Mengele", roman qui retrace les années de clandestinité  de "l'Ange de la mort", le médecin-chef d'Auschwitz, de son arrivée à Buenos Aires le 22 juin 1949 à sa mort par noyade, trente années plus tard, le 7 février 1979, à Batioga, dans l'océan Atlantique. Traqué, il le fut par le Mossad et les chasseurs de nazis, mais sans doute bien plus par ses propres fantômes, les milliers de femmes et d'hommes qu'il a envoyés à la mort et sur lesquels il a pratiqué des expériences épouvantable qu'il a toujours justifiées au nom d'une raison supérieure, d'un devoir sanitaire, afin de préserver la race blanche - et particulièrement germanique. L'un des mots qui traverse le roman est "complicité".
Mengele, même grimé en vieillard à la moustache nietzschéenne, le visage masqué partiellement par un chapeau mou, le fuyard aux multiples identités, n'aurait jamais pu poursuivre son errance en Amérique du Sud, sans des complicités : celles des anciens nazis, frères d'armes et de meurtres de masse, relèvent d'une logique qui trouve sa raison dans le partage odieux d'un fanatisme sanguinaire, dans la psychopathie ; celles d'états comme le Brésil péroniste ou le Paraguay de cette époque s'expliquent par la gangrène entretenue par un long cousinage fasciste ; celle de la famille est déjà moins justifiée quand on sait qu'elle servait la prospérité de la firme d'outillage agricole Mengele (jusqu'à 6000 personnes dans les années 70) ; celle enfin des états victorieux qui ont renâclé à déployer les moyens de recherche sous des prétextes "diplomatiques" ou "stratégiques".
Complicité, c'est aussi le terme qui est au cœur de "L'ordre du jour" d'Eric Vuillard, Prix Goncourt, qui met en scène la rapacité des barons de l'industrie allemande mais aussi la veulerie des dirigeants politiques européens, qui ont permis aux nazis de perpétrer leur délire. Gustav Krupp qui exploitait des prisonniers dans ses usines, comme ses autres collègues de Siemens, Bayer, BMW, IG Farben, etc., ne fut pas inquiété après la guerre, mais ce sont les fantômes de ses anciens esclaves qui viennent, dans sa sénilité, le hanter. "Mais qui sont tous ces gens ?" dit-il, en croyant distinguer dans un coin de la pièce des silhouettes rampant lentement dans le noir. "Et ce qu'il vit, ce qui surgit lentement de l'ombre, c'étaient des dizaines de milliers de cadavres, les travailleurs forcés, ceux que la SS lui avaient fournis pour ses usines. Ils sortaient du néant."
Les deux livres couronnés par les prix littéraires les plus prestigieux, le succès du spectacle des "Damnés" de Visconti actuellement joué à la Comédie Française, constituent une conjonction étonnante et heureuse : elle me laisse penser qu'elle n'est pas fortuite à une époque où 60.000 personnes défilent à Varsovie en scandant des slogans nationalistes et racistes, où l'Europe est contaminée (à nouveau) par la peste brune, où les Etats-Unis sont gouvernés par un bateleur de plateaux de télévision aux amitiés politiques plus que douteuses. Puisse cette conjonction faire réfléchir le plus de monde possible !

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