mercredi 22 février 2017

"Cette nuit, je l'ai vue", de Drago Jancar

"Cette nuit, je l'ai vue comme si elle était vivante", est la première phrase du splendide roman de Drago Jancar, considéré comme le plus grand écrivain slovène actuel. 
Le personnage principal est Veronika, une femme libre, d'une beauté troublante pour tous les hommes qui l'approchent et qui tombent sous son charme indicible. Elle est mariée à Léo, un homme d'affaires riche, amoureux, attentionné. Elle aime par-dessus tout la vie, avec une forme d'innocence qui lui sera fatale. Car, par malheur - "elle était seulement au mauvais endroit, au mauvais moment" -, nous sommes dans les années sombres de la seconde guerre mondiale, dans une Slovénie sous la botte du 3ème Reich. Dans chaque camp, allemands comme partisans sont ivres de vengeance, assoiffés de représailles, livrés à leur plus bas instincts.
Le portrait de Veronika et son histoire tragique se révèlent au fur et à mesure du récit comme un tirage argentique dont les détails apparaissent progressivement sous les manipulations habiles du photographe. Drago Jancar est cet artiste manipulateur qui fait parler cinq personnages qui ont été amenés à côtoyer, de près ou de loin, Veronika : Stevo, son ex amant, brillant lieutenant de cavalerie qui finit sans gloire, en soldat déchu d'une armée vaincue ; Josipina, sa mère, qui survit misérablement dans le déni de la disparition définitive de sa fille ; Horst, le médecin allemand, ami du couple, qui refuse d'être tenu responsable du drame ; Jozi, la fidèle gouvernante qui a deviné l'issue de cette nuit glaciale où la sinistre colonne a disparu dans la forêt ; Jeranek, le paysan rustre, amoureux lui aussi de la belle châtelaine, complice passif que le remord poursuit encore 40 ans plus tard.
Il y a dans ce roman un parfum de nostalgie un peu analogue à celui du "Monde d'avant" de Stefan Zweig, ou de "Ce que j'ai voulu taire" de Sandor Maraï, mais avec une amertume, une révolte, amplifiée par la figure sublime de Véronika et l'injustice bestiale des hommes.

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