dimanche 15 mai 2016

L'héritage d'Esther de Sandor Maraï



Il y a dans ce court récit publié en 1939 une description remarquable de la relation entre un pervers narcissique, Lajos, et sa victime, Esther.
Celle-ci, désormais vieille et alors qu'elle se sent mourir, s'impose de relater l'histoire terrible qui l'a liée à deux moments de sa vie - jeune, à 25 ans environ, et puis 20 ans plus tard - à Lajos, un menteur, un mythomane, un escroc coureur de jupons, un velléitaire, une sorte de parasite nuisible dont elle était amoureuse.
Dès les premières lignes, le lecteur sait qu'Esther perdra la partie ; mais ce qui est troublant, c'est qu'elle accepte son sort comme une fatalité : "L'ennemi m'a rattrapée. Et je sais désormais qu'il ne pouvait faire autrement. Car nous sommes liés à nos ennemis - et ceux-là, à leur tour, se montrent incapables de nous échapper."
Il m'est difficile d'expliquer les raisons pour lesquelles je fais un lien avec le roman d'Imre Kertersz "Etre sans destin". Peut-être cette distance assumée avec le tragique que l'on retrouve dans les deux récits ?
Dans "L'héritage d'Esther" le lecteur assiste à la quête d'un prédateur. Mais personne n'est dupe de l'issue finale ; ni le fauve, ni la proie.
Lajos parvient à convaincre Esther de sa culpabilité dans la situation dont elle est victime. Il finit par accuser Esther de cet état de fait délétère par une démonstration d'une perversité subtile : "Et c'est toi, la fautive, Car en amour, le courage de l'homme est dérisoire. L'amour, c'est votre affaire, à vous autres les femmes... C'est seulement la que réside votre grandeur. Et c'est là que tu as échoué, d'une manière ou d'une autre - anéantissant par cet échec ton devoir, ta mission, le sens même de notre vie."
L'intelligence de Lajos - sa perversité - tient également dans sa lucidité quant à son personnage : "Au fond, j'ai toujours été faible. J'aurais voulu accomplir quelque chose sur cette terre - et je crois que je ne manquais pas tout à fait de talent. Mais l'intention et le talent ne suffisent pas. (...) Pour créer il faut autre chose ... une sorte de force ou de discipline particulière, où les deux à la fois, c'est cela, je crois, qu'on appelle le caractère."




Cette presque nouvelle est en réalité une immense étude en profondeur de l'âme humaine, une étude noire, pessimiste, peut-être prémonitoire de la Shoah avec cette question de la relative "docilité" du peuple juif vis-à-vis de ses bourreaux.



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