samedi 25 octobre 2014

Almost like the blues


J'ai vu des gens affames
Il y avait des meurtres, il y avait des viols
Leurs villages étaient incendiés
Ils essayaient de s'enfuir

Je ne pouvaient pas soutenir leur regards
Alors je regardais mes chaussures
C'était affreux, c'était tragique
C'était un peu comme le blues

Je dois mourir doucement
Entre chaque pensée de meurtre
Et quand j'aurai fini de penser
Je devrai mourir enfin
Il y a de la torture et il y a des tueries
Il y a toutes mes critiques pitoyables
La guerre, les enfants perdus
Mon Dieu, c'est un peu comme le blues

J'ai laissé mon cœur se glacer
Pour lui éviter de trop pourrir
Mon père a dit que je l'avais choisi
Ma mère n'a jamais voulu le reconnaître
Oh les Gitans et les Juifs
J'ai écouté avec attention votre histoire
C'était bien, je n'étais pas fatigué de l'entendre
C'était un peu comme le blues

Il n'y a pas de Dieu au Paradis
Et il n'y a pas de Diable en Enfer
Comme le prétend l'illustre professeur
Qui sait tout mieux que nous
Mais j'ai reçu une invitation
Qu'un pécheur ne peut refuser
Et c'est presque comme une rédemption
C'est un peu comme le blues

Léonard Cohen (traduction libre de JN Spuarte)






"Autour du monde" de Laurent Mauvignier

De la Thaïlande où un voyage entre amis est révélateur d'une névrose suicidaire, à Moscou où un homme marié a une relation homosexuelle le jour de la naissance de son enfant ; du pont glacial d'un paquebot de croisière où un homme sauve un vieillard avec le secret espoir de coucher avec la fille de la victime, au road trip d'un jeune homme à travers les US à la recherche de son frère aîné en rupture de banc familial ; d'une plongée quasi thérapeutique au milieu des dauphins des Bahamas, aux fantasmes de deux vieillards italiens pour une illusion de paradis slovène à portée de ticket de Totocalcio ; d'une attaque de pirates dans le Golfe d'Aden qui tourne mal, aux jalousies mal digérées d'un jeune couple en voyage de noces vers le Canada ; du safari à l'épate de jeunes business men en Tanzanie, à la vie au service de touristes friqués d'un émigré indonésien à Dubaï ; de l'escapade romaine de deux amants qui ont trente ans de différence,au voyage en Israël d'une jeune femme chilienne à la recherche du passé trouble de sa famille pendant la seconde guerre mondiale ; de l'aventure tragique d'un étudiant mexicain au Japon avec une jeune japonaise tatouée qui survivra miraculeusement au tsunami  de 2011 à ce séjour touristique à Paris d'une famille japonaise qui assiste, impuissante, par médias interposés, au drame qui emporte ses plus proches parents, Laurent Mauvignier nous invite à parcourir la planète au gré de 14 nouvelles qui s'interpénètrent pour ne former qu'un seul roman dont le fil d'Ariane est le tsunami du 11 mars 2011, porté par une langue qui nous permet, grâce à sa beauté, de vivre véritablement - plutôt que d'assister - à ces "choses de la vie", souvent dramatiques, parfois dérisoires.    

vendredi 10 octobre 2014

Les mains du miracle

"Les mains du miracle" de Kessel était épuisé. Folio vient de le rééditer et une personne qui m'est chère a remarqué le livre sur le présentoir d'une librairie. Pourquoi pas Kessel, auteur un peu démodé, se dit-elle ?
Ce livre raconte une histoire vraie ; celle de Félix Kersten, un médecin doté d'un talent extraordinaire en matière de massages qui devient le masseur attitré et le confident d'un monstre : Heinrich Himmler. Le numéro 2 du Reich accordera son amitié et sa confiance à Kersten qui en profitera pour contribuer à sauver des dizaines de milliers de vies humaines. 
Kessel parvient à recréer l'atmosphère angoissante qui entoure ce sinistre criminel à la stature minable, les épaules tombantes et le corps flasque, rongé par des douleurs insupportables à l'estomac que les doigts prodigieux de son "seul ami" parviennent à soulager.
 
Kersten parviendra à déjouer tous les chausse-trappes tendus par les criminels nazis qui rodent autour de Himmler, et considèrent d'un œil assassin la trop grande influence de cet étranger sur leur maître (Kersten a la nationalité finlandaise) . Cette histoire est à peine croyable ; et pourtant !

"Tout est possible" pourrait être la leçon de ce livre.

dimanche 5 octobre 2014

Veinard(e)s : on a presque tout changé à droite !

Musée Soulages à Rodez, la Cuisine à Nègrepelisse et le Grand Théâtre d'Albi

« L’effet Bilbao » est donc reproductible !

2014 constitue pour les architectes catalans RCR[1], une année prolifique en projets inaugurés sur le territoire français. Ce n’est effectivement pas courant qu’une agence de taille modeste – mais au talent remarquable et reconnu – qui plus est étrangère, signe presque simultanément deux opérations dont au moins l’une d’entre elles fait le « buzz » architectural, puisque 6 semaines seulement après son ouverture 60 000 visiteurs étaient déjà comptabilisés ; chiffre correspondant au nombre d’entrées escompté sur l’année ! Le figaro titre fin juillet : « Le musée Soulages n’est pas un succès. C’est un triomphe. » Et sur sa lancée d’atteindre les 100 000 en aout ! « L’effet Bilbao » est donc reproductible ont du se dire quelques édiles qui rêvent d’édifier sur leur commune « Le » bâtiment qui fera converger les cars des tour-opérators et remplir les restaurants, qui flattera leur égo et donnera, enfin, une adresse digne aux partenaires économiques de la cité ragaillardie. Mais, prudence car « l’effet Bilbao » est rien moins que rationnel ! Et pour un Musée Soulages qui nous réapprend où se situe plus précisément Rodez, combien de « flops » architecturaux (moins médiatisés) se sont révélés être davantage consommateurs que pourvoyeurs de manne touristique !

4 boîtes parfaites de métal rouillé
L’alchimie ruthénoise tient vraisemblablement du coup de génie : un musée consacré au plus grand peintre français vivant (un mythe !) dont le fond a généreusement été pourvu par le Maître lui-même[2], doublé d’une œuvre architecturale – le contenant - qui joue le mimétisme avec l’œuvre – le contenu -, dans un exercice métaphorique assez spectaculaire. Le parti des architectes de placer le bâtiment sur le dévers de l’espace du foirail est astucieux : les 4 boites parfaites de métal rouillé (acier Corten©) extrudées à l’horizontale du plateau se laissent admirer par le visiteur sans que celui-ci, même rétif à l’encontre de l’architecture minimale et quasi conceptuelle, puisse prétexter une atteinte à l’harmonie de la cité. Les amateurs d’imaginaires seront même comblés par le commentaire des architectes qui parviennent à évoquer le rapport à la cathédrale dans une inversion du système : verticalité pour l’édifice religieux et horizontalité pour l’ouvrage profane.

C’est cette cuirasse d’acier qui intrigue
On ne se lasse pas d’observer la matérialité de l’enveloppe qui renvoie au travail du sculpteur Serra, un autre espagnol, dont certaines pièces monumentales ont été adoptées par le Guggenheim de Bilbao et participent certainement à l’attractivité du célèbre musée de Franck. O. Gehry. Car, davantage que l’habile déséquilibre de ces 4 parallélépipèdes aux dimensions différentes, alignés dans une posture quasi militaire, c’est cette cuirasse d’acier qui intrigue. Totalement aveugle, déclinant ses teintes orangées du safrané à des tons plus sombres, sa surface guerrière, scarifiée et tatouée par endroits, évoque la matière brute et efficace, dans une correspondance appuyée avec l’œuvre de Soulages. Les aménagements paysagés qui ceinturent le musée, composés de tapis de pierres noires aux angles vifs, contaminées par des lierres rampants, achèvent de placer cette composition dans le registre de l’Essentiel, aux antipodes d’une architecture de l’ornement.

Le Noir est bien une couleur
A l’intérieur de la « forteresse » les architectes ont su faire varier les espaces – luminosité, volumétrie, teintes des parois – pour s’adapter aux œuvres présentées. La collection couvre toute la création de Soulages depuis les années 40 jusqu’aux œuvres plus récentes, et présente les différentes techniques auxquels l’artiste s’est confronté – peintures, sérigraphies, eaux-fortes, lithographies, vitraux. Des immenses toiles d’outre-noir ou de noir-lumière comme le qualifie Soulages, permettent aux visiteurs de se rendre à l’évidence : le Noir est bien une couleur[3].

L’acier Corten© est un matériau qui peut se révéler indocile
 La seconde réalisation de l’agence RCR est plus confidentielle et moins courue. Il faut pousser un peu vers l’ouest, du côté de Montauban[4], pour découvrir dans les vestiges d’un ancien château fort du XIIIème siècle, la Cuisine, un centre d’art et de design autour des thématiques liées à l’alimentation. Inauguré à une quinzaine de jours d’intervalle[5] après le musée de Rodez, l’architecture porte la signature du moment de l’agence : l’usage enthousiaste de l’acier Corten©. Mais ici, il s’agit d’une composition avec une bâtisse existante faite de pierres solides et rugueuses[6], de murs appareillés à l’ancienne. L’introduction de la matière acier est plus subtile et a nécessité un dessin davantage « travaillé » dans lequel on ne retrouve pas l’impression de puissance qui émane des boîtes du Musée Soulages. Les textures de l’acier sont également différentes ; le registre guerrier est apaisé. On constate que l’acier Corten© est un matériau d’une richesse plastique immense, et qui peut se révéler indocile.
La Cuisine accueille des stages, des séminaires, des expositions temporaires d’artistes en résidence. Tous les espaces sont traités en jouant sur la dualité métal/minéral et la lumière. A cet égard, la bibliothèque circulaire logée dans une des tours de l’enceinte offre une ambiance singulière, avec son cylindre monumental encastré dans la charpente bois qui descend au milieu de la pièce et projette sur la table ronde de consultation un unique halo de lumière, laissant le reste de la pièce dans une pénombre un peu mystérieuse.

Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine
A Albi, au Grand théâtre, fraîchement rénové par Dominique Perrault, se joue un autre concerto pour façade vitrée-teintée et maille métallique. L’architecte de la Bibliothèque François Mitterrand a imaginé de donner à la ville deux bâtiments pour le prix d’un ! En effet, selon la lumière et l’heure diurne ou nocturne, son enveloppe audacieuse dessine la silhouette d’un curieux vaisseau muni d’immenses voiles en métal tressé – matériau fétiche de Perrault -, ou laisse apparaître un autre édifice à la volumétrie plus conventionnelle mais à la modénature complexe et colorée. Le nouveau bâtiment constitue l’un des éléments majeurs de la recomposition urbaine du quartier. Le défi était immense de dignement représenter l’architecture contemporaine à quelques centaines de mètres de la prodigieuse cathédrale Sainte-Cécile. Le visiteur peut se surprendre à lâcher un : « Il fallait oser ! ».





[1] RCR Arquitectes, créé en 1987 par Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vialta. L’agence est basée à Olet près de Barcelone.
[2] Soulages a fait le don de plus de 500 œuvres au musée.
[3] Titre de l’exposition organisée en 1946 à la Galerie Maeght à Paris.
[4] A Nègrepelisse précisément
[5] 14 juin 2014










[6] Assez sérieusement « ratiboisée » 

Viva, de Patrick Deville



Limiter Viva à un "roman historique" dans lequel l'auteur se serait contenté de jouer d'une perspective réciproque entre Trotsky et Malcom Lowry serait terriblement réducteur. Patrick Deville aime à évoquer les utopies - "surtout à l'instant où elles s'écroulent" dit-il -, et mettre en scène des personnages portés par elles dont le destin est la plupart du temps tragique ; sans oublier, particulièrement dans Viva, la cohorte des "seconds rôles" qui gravitent autour des deux protagonistes principaux. Le Mexique des années 20 "dans cette décennie pendant laquelle tout s'invente, le monde est neuf dans le chaos régénérateur", est comme une sorte d'immense manège - la fameuse grande roue Ferris de "Sous le volcan" ? - qui tournerait de façon chaotique avec, embarquée à son bord, une kyrielle d'invités qui ont pour noms :
Lev Davidovitch Bronstein, alias Trotsky, le paria et l'écrivain refoulé, Malcom Lowry, le génie littéraire, ivre du "Volcan", Frida Khalo, l'artiste au corps et à l'âme torturés, Diego Rivera, le peintre muraliste et l'ogre de femmes, Tina Modotti, la belle photographe, la "traîtresse" qui livre son âme au diable, Vittorio Vidali, le diable lui-même, Artaud, le fou visionnaire, Mercader, l'assassin au piolet, André Breton, le petit écolier surréaliste ridicule devant Trotsky, Ret Marut, alias Traven, alias Cravan, alias Torsvan, alias..., l'auteur du "Trésor de la Sierra Madre", et des dizaines d'autres acteurs moins connus, dont on se régale à découvrir (merci le "Net") les itinéraires de vie souvent incroyables.
"Viva" est un livre dont on sort comme enivré, par la profusion de personnages, comme autant de fantômes que le talent de Deville fait revivre dans l'atmosphère particulière de l'époque et du lieu qu'il revient lui-même "hanter" dans certains paragraphes, à la fois mortifère et bouillonnante sur le plan artistique et littéraire.
Un livre à conseiller à ceux qui ont aimé "L'homme qui aimait les chiens" de Padura ; et aux inconditionnels de "Au-dessous du volcan".