mardi 18 février 2014

Le pays du lieutenant Schreiber d'Andreï Makine, ou l'hommage aux "Perdants Magnifiques"



Jean-Claude Servan-Schreiber (à ne pas confondre avec son cousin Jean-Jacques - politicien et homme de presse) fut un jeune officier engagé dans la seconde guerre mondiale dès l’âge de 21 ans. Exclu de l’armée en 41 du fait de ses origines juive, il passe clandestinement en Espagne mais la police le capture et l’enferme au camp de concentration de Miranda del Ebro avec 35.000 autres prisonniers, d’où il parviendra par un subterfuge à s’en extraire pour gagner Alger. Puis il prend part au débarquement en Provence, la remontée de la vallée du Rhône jusqu’en Alsace avec ces combats violents contre les divisions allemandes qui refluent vers l’Allemagne dévastée, le passage du Rhin et la libération en mai 45.
Andreï Makine construit « Le pays du lieutenant Schreiber » à partir d’une tentative littéraire : celle de parvenir à faire publier le témoignage d’un homme – Jean-Claude Servan-Schreiber -  dont la vie fut celle d’un héro (presque) anonyme, oublié par l’Histoire, animé par le seul désir de l’hommage posthume que son souvenir peut apporter à ces compagnons que la Mort avait choisis comme par effraction. « En écoutant le lieutenant Schreiber, j’ai compris qu’exalter son rôle dans la guerre n’avait jamais été son idée fixe. Cet effacement de l’égo permettait à sa mémoire de sauver dans la masse indistincte des vivants et des morts – un visage, une parole, une effigie fugace de l’autre. »
Un seul éditeur « old-fashionned » tentera le coup dont on sait, dès les premières phrases, qu’il s’agira d’un échec car l’indifférence au sujet est totale dans un monde où le « putanat » médiatique triomphe, et sur lequel Makine jette un regard plus que désabusé, méprisant ; « Un monde où les humains sont très fiers de bouger sans cesse, ne remarquant pas que ce « bougisme » obsessionnel obéit aux grands flux des marchandises et des capitaux, au pillage d’un continent au profit d’un autre, à la servitude touristique, … » ; (un monde) où nos maîtres à penser sont les footballeurs « avec leur vocabulaire de trente mots, employés à contre-sens. »
Mais l’époque actuelle n’a pas le monopole du  mépris de Makine ; les « fiestas » de Saint-Germain des Prés et leurs participants les plus célèbres (Sartre, Beauvoir, Dora Maar, …) sont fustigés, et la simultanéité de leur « bonheur » avec les horreurs de la guerre (pendant le même temps les chambres à gaz tournent à plein régime et des milliers d’hommes se font descendre sur les plages du débarquement) donne aux aphorismes de salon un relent de dérisoire.
Makine, quand il cesse de s’emporter sur les médias (« un ignoble égout qui impose aux milliards d’humains décérébrés ce qu’ils doivent penser, aimer, convoiter, ce qu’ils doivent apprécier ou condamner, ce qu’ils doivent savoir de l’actualité, de l’histoire . »), a des pages merveilleuses. Trois portraits de femmes apparaissent dans le récit ; trois amours de jeunesse qui « n’entrainaient pas les amants dans l’épaisseur des liens du désir, de la possession. Tout au contraire, elles libéraient,… ». Le lieutenant Schreiber lui-même est un homme d’une douceur et d’une humilité qui tranchent avec l’emportement (slave ?) et l’indignation de Makine.
Deux petites réflexions dans la même veine pour finir : Makine relate l’impression que le Général de Gaulle a fait à Schreiber après une entrevue : (p 161) « J’éprouvais le sentiment d’être plus fort et plus libre. C’est sans doute la caractéristique des grands hommes. Non seulement ils ne vous font pas sentir qu’ils sont supérieurs, mais ils vous permettent de croire que vous êtes leur égal ! » De même après une entrevue avec son futur éditeur, Schreiber confie à Makine :
-(…) « Charles est un vrai gentleman. Vous savez ce que cela veut dire ?
- Mais bien sûr. Un homme distingué, courtois, franc, …
- Certes… Sauf que cela ne suffit pas.
- Ah bon ? Y a-t-il une autre définition ?
- Oui. Un gentleman : en parlant avec lui vous vous sentez un gentleman. »

Les Sœurs du Saint Esprit

Ce n'est pas "Sisters of Mercy" de Léonard Cohen, mais ça pourrait !

En hommage à Mère Thérèse, Anna-Maria Trellu dans la civil (1903-1994)

Les sœurs du Saint-Esprit ont déserté l'île de granit rose.
Elles ont laissé derrière elles des preuves d'amour,
Qui flottent dans ma tête comme un drapeau déchiré.

Leur parfum de femme était un parfum de mère.
Elles avaient fait voeu de ne jamais enfanter,
Et nous sommes pourtant nombreux à être leurs enfants.

Elles avaient le deuil et la mort pour compagnons de voyage,
Noirs étaient leurs longs voiles et leurs longues robes.
Mais derrière cet habit de deuil, leurs corps devaient être lumière.

JN Spuarte

vendredi 7 février 2014

Jeanne et Marguerite



"Jeanne et Marguerite" est une pièce de théâtre singulière née d'une rencontre entre deux femmes d'une très grande générosité (Françoise Cadol et Valérie Péronnet) animees par une passion commune : l'autre. 

Françoise Cadol est comédienne ; mais elle écrit aussi et monte des spectacles. Valérie, l'auteure du livre largement autobiographique dont la pièce est adaptée, est "nègre" de son état, intervieweuse professionnelle et accoucheuse de la vie des autres. Au lendemain de leur rencontre, Françoise encourage Valérie à écrire pour elle-même, et lui "commande" un texte pour une pièce de théâtre. Ce sera "Jeanne et Marguerite".
 Au Théâtre La Bruyère, Françoise Cadol joue seule sur scène, enchaînant le rôle de Jeanne, l'arrière petite fille à la recherche de l'homme absolu, et celui de Marguerite son aïeule d'un autre siècle, dont le destin sera bouleversé par la Grande Guerre. Son interprétation est remarquable. Elle jongle entre l'enchantement ingénu de la jeune Marguerite prise dans ses émois amoureux d'adolescente sur la plage de Nice, et les angoisses d'une femme mûre, Jeanne, prise dans le jeu ambigu de Robert-Jamesbond, l'amant, éternellement de passage.
"Jeanne et Marguerite" est un texte sur la fragilité des êtres victimes d'événements qui les dépassent, ou de leurs désirs qui les soumettent ; mais pas seulement : la vie malgré tout et l'humour comme arme ultime peuvent reprendre le dessus.
Le spectacle se joue jusqu'à la fin mars au Théâtre La Bruyère (5, rue La Bruyère Paris 9ème), et davantage si le public est au rendez-vous !