mercredi 4 décembre 2013

PAREIDOLIES (Urbaines) Série 2


Derniers exercices paréidoliques

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samedi 30 novembre 2013

Loving Franck



 
Franck Lloyd Wright est considéré comme l'un des plus grands architectes du 20eme siècle (sinon le plus grand). De ses "Prairie Houses" où l'espace construit se voulait en résonance parfaite avec les éléments matériels et spirituels du lieu, jusqu'à l'incroyable Guggenheim de New-York dont la forme et le parcourt du visiteur révolutionneront le concept du musée, Wright n'a cessé d'être un précurseur et un visionnaire.

Mais quel homme se cachait réellement derrière l'architecte ? Une réponse nous est proposée dans "Loving Franck" de Nancy Horan qui nous plonge dans l'intimité du couple Wright-Mamah* Borthwick, au travers du récit des sept années de leur relation passionnelle (jugée scandaleuse à l'époque dans la bonne société de la banlieue chic de Chicago). Nancy Horan s'est attachée à faire revivre ses deux personnages dans un roman historique captivant, fourmillant de détails, ponctué d'extraits de lettres de l'époque, plongeant le lecteur au cœur de la bourgeoisie d'Oak-Park jusqu'à la bohème romantique de Berlin, Florence ou Paris. 
Le portrait du génial architecte n'est pas toujours à son avantage. On le découvre tour à tour affabulateur, acheteur compulsif, mégalo, égoïste ou prétentieux (Wright ne disait-il pas : "Très tôt dans la vie, j'ai du choisir entre l'arrogance honnête et l'humilité hypocrite. J'ai choisi la première et je ne vois aucune raison pour changer." Et encore : "Je me sens aller vers une étrange maladie : l'humilité."). Mais Wright était aussi un homme tendre, fragile, capable d'une attention extrême envers sa maîtresse.  
Mamah est intelligente, sensible, belle. C'est une femme qui souffre du carcan sociologique de son époque. Elle est marié à un homme qu'elle n'aime plus ou qu'elle n'a jamais vraiment aimé profondément ; sans doute un mari attentif, mais la relation n'a pas le "souffle" auquel elle aspire. "Tu as toujours voulu accomplir quelque chose de grand. Quelque chose d'important", lui lance avec rancœur, Lizzie, sa sœur, quand elle revient la voir après une dispute avec Wright pour lui demander de l'aide. Sa rencontre avec son illustre amant et plus tard avec Ellen Key, une philosophe féministe suédoise, façonneront sa vie pour le meilleur et jusqu'au tragique.

Livre à recommander aux passionnés d'architecture (évidemment) mais au-delà, à tous ceux qui s'interrogent sur la relation passionnelle entre une femme et un homme.
* prononcer "May-ma"

dimanche 24 novembre 2013

Banalisation du mal

Suite à la lecture du "Nazi et du barbier", du visionnage de 2h30 de "Shoah" et du film "Hannah Arendt" relatant la controverse du procès d'Adolf Eichmann, interrogations sur le monstruosité...
Dans la courte description suivante, de qui s'agit-il ?
Il tient un journal intime ; on y voit le portrait d’un jeune homme bien intégré à son milieu et à la société, capable de gentillesse et de générosité. Pendant les vacances de Noël (date inconnue), il fait la lecture à un aveugle ; il organise une manifestation de bienfaisance pour les orphelins et regrette les mauvais traitements infligés aux prisonniers français auxquels il a assisté en 1914.
Rép. : Heinrich Himmler

Et puis :
Les chefs des Einsatzgruppen et des Einsatzkommados étaient majoritairement des personnes diplômées, exerçant souvent des professions libérales. Ils n'ont presque jamais exprimé le moindre remords ou regret.

(D'après Wikipedia)

jeudi 21 novembre 2013

Le nazi et le barbier (la pièce)

Ca se joue à 19H au théâtre du Petit Hebertot (métro Rome ou Villiers). Ca dure 1H30 et c'est une performance d'acteur remarquable. Bien sûr il a fallu faire quelques coupes dans le roman de 500 pages d'Edgar Hilsentath, mais ça laisse tout le plaisir de lire le livre même après avoir vu la pièce. Un spectacle grinçant qui resonne dans l'air actuel avec une acuité particulière ...

mardi 19 novembre 2013

Les petits soldats

"Les petits soldats" est le premier roman de Yannick Haenel, auteur de "Jan Karsky" et plus récemment "Des Renards pâles". Il fait le récit des trois années (de la seconde à la terminale) qu'il a passées au Prytanée Militaire de La Flèche dans les années 80. Pour ceux qui ne sauraient pas ce qu'est le Prytanée Militaire de La Flèche, un détour sur Wikipedia s'impose. D'aucuns pourraient le qualifier d'anachronisme contemporain ; bel oxymore ! Yannick Haenel y mord à pleine dents n'épargnant guère l'institution et ses sbires. On retrouve, comme dans le livre plus édulcoré et précieux d'Antoine Compagnon "L'année de rhéto", ce mélange d'amour et de haine à l'encontre d'un établissement dont la fréquentation peut laisser quelques séquelles, mais également constituer le socle d'une amitié indéfectible.
Une question se pose : et si Yannick Haenel n'avait pas été pensionnaire au Prytanée, serait-il devenu  un écrivain, qui plus est aujourd'hui reconnu ?
Le ton et le style de Yannick Haenel sont déjà bien présents (comme dans "Les Renards pâles") : tout à la fois poétique et onirique, fragile et écorché (même saignant par endroit !).
Extraits : "Si vous lisez vraiment des phrases, elles anéantissent vos lourdeurs. La graisse des plaintes se liquéfie. Quelque chose déserte en vous. (...) Au milieu de ce vide, se forme une seconde solitude (...) Vous vivez la nuit dans la peau des phrases, à l'intérieur de la souplesse, avec la lumière de toutes les saisons. La vie des phrases est le seul royaume."
"Appprends mon vieux, qu'aucune femme n'est laide. Il n'y a que des niaids comme vous qui se moquent des femmes négligées ! Toutes sont émouvantes : elles seules savent nous aimer, avec nos mensonges et nos veuleries. A côté d'elles nous sommes des pitres."

samedi 16 novembre 2013

Nue

Quatrième et dernier opus de la série des "Marie" de Jean-Philippe Toussaint, "Nue" est d'abord servi par une très belle écriture ; une écriture inventée, un style, celui de Toussaint, avec l'alternance de longues phrases qui se déploient sur la page avec la volupté d'une immense bannière flottant au vent (je pense au drapeau parfois hissé sous la voûte de l'Arc de Triomphe dans l'axe des Champs-Elysées), des parenthèses triviales - l'instantané de la pensée -, des séquences plus courtes de mots simples évoquant le détail mais loin (très loin) de la banalité du roman de tête de gondole. 
L'histoire est celle d'une relation entre un homme et une femme, Marie, qui a "ce don, cette capacité singulière, cette faculté miraculeuse, de parvenir, dans l'instant, à ne faire qu'un avec le monde, de connaître l'harmonie entre soi et l'univers, dans une dissolution absolue de sa propre conscience." Ce que le narrateur qualifie de disposition océanique. Lui est amoureux d'elle ; un amour inquiet (l'amour n'est-il pas nécessairement inquiet ?). "C'était donc encore une fois pour m'apprendre la mort de quelqu'un que Marie m'avait appelé." La relation n'est pas simple, mais elle ne présente pas un degré d'étrangeté exceptionnel. Elle est composée de tous ces petits malentendus, ces ratés, des instants sans relief apparent mais chargés d'une tendresse indicible. Marie a un secret, mais ce n'est pas la clé du roman.  "Nue" est un livre d'atmosphères (la Place Saint-Sulpice sous la pluie d'automne), d'odeurs (celle que la chocolaterie incendiée répand sur l'Ile d'Elbe et en particulier dans le cimetière ; "cette odeur lancinante de chocolat (...) qui se mêlait à l'odeur abstraite de mort qui régnait dans le cimetière"), de nostalgies (la chambre de la maison de famille profanée, les êtres qui disparaissent).
Il y a aussi ces deux scènes "improbables" du défilé de la robe en miel (tragique) et de l'aventure voyeuriste sur le toit du Contempory Art Space (plutôt comique).
Une phrase encore sur la création artistique : "La conclusion inattendue du défilé du Spiral lui fit alors prendre conscience que, dans cette dualité inhérente de la création - ce qu'on contrôle, ce qui échappe -, il est également possible d'agir sur ce qui échappe, et qu'il y a place, dans la création artistique, pour accueillir le hasard, l'involontaire, le fatal, le fortuit." Uniquement dans la création artistique ?




mercredi 13 novembre 2013

Shoah

"Shoah" de Claude Lanzmann était diffusé hier soir sur Arte. Il n'est pas nécessaire de voir l'intégralité des 265' (près de 5H) de ce témoignage exceptionnel dans lequel des anciens tortionnaires nazis, piégés par Lanzmann, racontent par le menu leurs exactions, corroborées par le témoignage de survivants exhumant de leur mémoire les mêmes détails, pour avoir la chair de poule. Précision de l'horreur. 
Et puis le constat : au début était l'improvisation (des camions bricolés pour que les gaz d'échappement se répandent dans le fourgon arrière rempli de juifs, et qui font des rotations entre le "château" et les bois voisins), et rapidement se met en place l'industrialisation de la "solution finale" avec la conception parfaite (c'est à dire l'étude, la réflexion, l'avant-projet, la mise au point, la pré-synthèse, les spécifications détaillées, les plans, le chiffrage, la constitution des dossiers marchés, les appels d'offres, la fabrication des pièces, le recrutement des ouvriers, la construction, la vérification des installations, leur mise en route, leur exploitation, etc.) d'équipements capables de gazés simultanément 3.000 personnes.

mardi 12 novembre 2013

La croisière du "Snark"

Qu'est-ce qu'un aventurier ? Sans doute un homme capable de répondre à un défi déraisonnable par : "Pourquoi ne pas partir tout de suite (...) nul ne serait jamais plus jeune qu'aujourd'hui !"
Quand Jack London se lance dans un tour du monde à bord du voilier de 45 pieds (env. 13,50 m) qu'il a fait construire, "Le Snark", il ne connait rien à la navigation. C'est une folie, d'autant qu'il emmène avec lui sa femme, Charmian. Mais il a lu Melville et c'est un peu sur ses traces, à 60 ans de distance, qu'il parcoure pendant 17 mois les îles du Pacifique sud d'Hawaii aux Iles Salomon. Le périple n'est pas vraiment une promenade de santé : le climat de ces régions est souvent malsain  et la moindre écorchure peut se transformer en épouvantable abcès qui entraine des fièvres à répétition ; les tempêtes sont fréquentes et les paysages paradisiaques infestés d'insectes aux piqures assassines ;  l'accueil des indigènes peut être le meilleur du monde et le pire aussi (les cannibales hantent les abords de certaines plages dissimulés dans la végétation) ; la beauté de la nature est entachée par la vision d'êtres atteints de la lèpre ou de l'éléphantiasisme. Durant ce voyage Jack London ne devient pas seulement un excellent marin maîtrisant la navigation avec une précision remarquable, mais aussi un médecin et un dentiste ! 
Jack London et son épouse Charmian
"La croisière du "Snark"" confirme le génie de Jack London, autodidacte de la vie, infatigable optimiste doté d'un humour exercé par l'attention qu'il portait à chaque chose et particulièrement aux hommes.
Parlant d'un couple d'indigènes qui les avaient accueillis avec une hospitalité rare, Jack London écrit : "Le trait le plus délicieux de leur hospitalité, c'est que leur courtoisie ne procédait d'aucune éducation, d'aucun idéal social compliqué : elle jaillissait spontanément de leurs coeurs". On retrouve ici certains thèmes de "Martin Eden" écrit (sauf erreur) 2 années plus tôt : la spontanéité, l'intelligence ou la bonté qui n'ont pas besoin de l'éducation pour s'exprimer (voire même perverties par elle).




dimanche 3 novembre 2013

Une enfance de Jésus

 Un homme (il a peut-être 45 ans) et un jeune garçon (5 ans probablement) arrivent en fin de journée dans le camp d'aide aux nouveaux arrivants de Novilla, le "Centro de Reubicacion" (Centre de Déménagement). Ils sont fatigués et ils ont faim. Ils viennent de passer une semaine sur la route en provenance du camp pour immigrants de Belstar où ils sont restés  6 semaines au cours desquelles on leur a inculqué quelques rudiments d'espagnol, la langue de leur nouveau pays.  De quel pays s'agit-il ? Où habitaient-ils auparavant et quelles étaient leur vie ? Pourquoi ont-ils quittés leur terre et pour quelles raisons ont-ils embarqué dans ce bateau ?  Ces questions restent sans réponse.
A Belstar, des noms leur ont été donnés. Simon, pour l'homme et David pour l'enfant. Simon a recueilli David à bord du bateau qui les a amenés dans ce pays. Il était seul et sans papiers d'identité. Il se sent responsable de lui et n'a qu'un seul objectif : retrouver la mère de David et lui confier l'enfant car "la place d'un enfant est auprès de sa mère", et que lui, malgré tout l'amour qu'il lui porte n'a pas "le droit d'avoir des exigences", comme il veut s'en persuader. 
A Novilla tout semble sous contrôle, même les êtres humains, leurs sentiments ; ce qui révolte Simon qui a "faim de beauté, de beauté féminine. Je suis affamé en quelque sorte." écrit-il.

samedi 2 novembre 2013

Les Renards pâles

 C'est parce qu'il ne parvient plus a payer son loyer et qu'on le menace d'expulsion, que Jean Deichel, "ce type de 43 ans taciturne qui touche les Assedic et n'en fait socialement qu'à sa tête", décide d'aller vivre dans sa voiture, et d'attendre la venue de l'"intervalle", cette impression indicible mêlant des sensations contradictoires, "comme si vous tombiez dans un trou et que ce trou vous portait". Cet "intervalle", il en fait une première expérience, un soir à la terrasse d'un café où il rencontre fortuitement un ancien copain, artiste, en compagnie d'autres artistes assez déjantés (l'un d'entre eux - le Bison - "refaçonne l'art" en "performant la destruction" par l'exposition d'organes de lapins ou de poulets qu'il a lui-même égorgés...). C'est aussi à cette occasion qu'il découvre l'un des animaux sacrés des Dogon du Mali : un petit chacal qui est appelé le Renard pâle. Au cours de ces errances dans le XXème arrondissement il tombe à plusieurs reprises sur des inscriptions anarchistes accompagnées d'un dessin étrange - "sorte d'épouvantail : cancrelat de sortilège, poisson-sorcier" - et c'est une femme vertigineuse, radicale et extrêmement sensuelle, Anna, surnommée "la reine de Pologne", qui va l'introduire chez les Renards pâles.

mardi 29 octobre 2013

Statistiques

Etonnant de se plonger dans les statistiques de visites du blog. Ci-dessous le palmarès des 10 meilleurs pays de provenance des visiteurs.

France : 51 463

États-Unis : 4615

Russie : 2189

Algérie : 2020

Belgique : 1 994

Allemagne : 1 265

Suisse : 1 220

Tunisie : 1 130

Canada : 766

Lettonie : 579


lundi 28 octobre 2013

Le nazi et le barbier

"Je me présente : Max Schulz, fils illégitime mais Aryen pure souche (...). Itzig Finkelstein habitait la maison d'à côté. Il avait mon âge ou, pour être plus précis (...), Itzig Finkelstein a vu le jour exactement deux minutes et vingt deux secondes après que la sage-femme Marguerite Grosbide m'eut délivré d'un coup sec et vigoureux de l'obscur ventre de ma mère... Si tant est qu'on puisse parler de ma vie comme d'une délivrance..."
Ainsi commence "Le nazi et le barbier" roman tour à tour délirant et terrible d'Edgar Hilsenrath, publié avec succès en 1972 aux Etats-Unis, qui fit scandale en Allemagne lors de sa publication en 1977, et du encore attendre 2010 pour être traduit en français ! 
Les 481 pages (qui se lisent avec compulsion) correspondent à un tour de force incroyable qui nous rendrait presque sympathique Itzig Finkelstein alias le génocidaire Max Schulz. Vous comprenez que c'est un livre sur une schizophrénie impossible et pourtant assumée, qui entraine le lecteur de Wieshalle (Silésie) jusqu'à la Terre Promise, en passant par les camps de la mort et les bas-fonds du Berlin de l'aprés-guerre, gangrené par le marché noir. On y parle savamment de barbier (un métier quasiment disparu) et avec une objectivité noire de nazi (un métier qui tend à réapparaître).
C'est un livre qui parle du racisme imbécile, de la peur, la haine, l'abjection, la folie banale, la perversité, la bassesse la plus terrible, la force de la médiocrité, la Shoah, le nazisme, tout ça sans pathos, mais plutôt sous l'angle de la dérision et de l'humour (noir et grinçant bien entendu). On est loin des "Bienveillantes", mais la démonstration est certainement encore plus puissante. Itzig Finkelstein alias le génocidaire Max Schulz est un tantinet porté sur la gaudriole, ce qui nous vaut quelques scènes truculentes de copulations débridées (Houellebecq s'en est-il inspiré dans "les Particules élémentaires" ?). C'est un livre de la désespérance mais qui ne vous laisse pas désespéré ; un livre sur l'absurde (Dieu est ultimement piégé). Edgar Hilsérath est un extraordinaire observateur, un "limier" de la condition humaine. Le livre est servi par un style qui alterne le questionnement  bouillonnant (vis-à-vis du lecteur) et des phrases d'une richesse poétique formidable. Dois-je avouer qu'il s'agit pour moi d'un chef d'oeuvre ?
Merci à Etienne V. qui se reconnaitra s'il s'égare jusqu'ici, et à qui je dois cette très belle et très sombre découverte.
Nota : la pièce de théâtre se joue actuellement au Petit Hébertot (à vos places !)

mardi 22 octobre 2013

A méditer

"Le principal ennemi de la créativité est le bon sens."
Pablo Picasso
NB : Merci à Bruno S. (qui se reconnaitra s'il parvient jusqu'ici)

Martin Eden

 Quand Jack London écrit "Martin Eden" il n'a que 33 ans et le récit sonne pourtant comme une autobiographie ; de celle qu'un écrivain peut écrire au soir de sa vie. 7 ans plus tard, le 22 novembre 1916, Jack London qui était atteint de plusieurs maladies (dysenterie, urémie, mais surtout alcoolisme) meurt d'avoir trop vécu. Suicide ? Empoisonnement par négligence du fait d'une automédication ? Le doute entretient encore davantage le "mystère" Jack London, écrivain de la race des Rimbaud, Hemingway, ou autres Kerouac ; celle des "perdants magnifiques" ?
Personnage de roman lui-même (enfance difficile, génie autodidacte, bagarreur, marin, ouvrier, chercheur d'or, photographe*, écrivain à succès, etc.), il met en scène dans "Martin Eden" son double, d'abord un jeune homme un peu rustre mais qui ne manque pas de sensibilité, fasciné par la classe des gens instruits, submergé par une passion pour Ruth, une très belle jeune femme de cette bourgeoisie à laquelle il croit pouvoir accéder par l'apprentissage du savoir. Mais tout se révèle en définitive faux et illusoire, sauf certaines amitiés construites sur le partage de l'adversité ou d'une certaine notion de la beauté. L'étude compulsive des livres et son sens aigu de l'observation font rapidement de Martin Eden un révolté ; en particulier contre une société confite dans ses "valeurs établies", conduite par des sots dont le pouvoir ne repose que sur des diplômes obtenus sans intelligence, la flatterie ou une situation sociale privilégiée. Il se débat jusqu'à l'épuisement car personne (sauf Brissenden, le grand poète, l'esthète anarchiste qui meurt trop rapidement) ne veut reconnaître ce pour quoi il est réellement fait : écrire. Et quand la gloire arrive enfin, le spectacle de l'hypocrisie humaine finit de l'accabler. "C'étaient les bourgeois qui achetaient ses livres et remplissaient sa bourse ; or, d'après le peu qu'il savait d'eux, il lui semblait impensable qu'ils pussent apprécier ou seulement comprendre ce qu'il écrivait."
Martin Eden est le livre de toutes les désillusions, jusque (et surtout) vis-à-vis de l'amour, de la gloire, et même de l'écriture ; ce qui signifie en définitive, pour cet homme animé par une rage de vivre incroyable, la désillusion de la vie. Alors que Ruth revient pour le reconquérir, il ne peut lui dire que ces paroles : "Je suis un homme malade (...) Oh, pas dans mon corps. Dans mon âme, dans ma cervelle. je ne crois plus en rien. Je me moque de tout." ; et plus loin, "Je suis vidé de tout désir. S'il restait de la place dans mon cœur, je pourrais encore vouloir de vous, même aujourd'hui. Vous voyez comme je suis malade."
"Martin Eden" est un livre immense qui devrait être, obligatoirement, au programme des lycées. Malgré son côté noir et cynique, il parle aussi de choses comme la beauté, la sensibilité, l'émotion, l'attention, la générosité, l'engagement ou le désintéressement ; autant d'antidotes possibles à la société du spectacle de Facebook et de la téléréalité.

* Un livre superbe vient de sortir au éditions Phébus : Jack London photographe.

jeudi 10 octobre 2013

Fondation Iberê Camargo à Porto Alegre


L'homme parait assez fatigué. Il n'est plus très jeune à tout juste 80 ans. Sa silhouette est fragile. Le regard est attentif, curieux, légèrement voilé par instant : quelque chose mêlant humilité et enchantement. Ses mains tremblent imperceptiblement. Une barbe blanche que l'on devine aujourd'hui et qui, plus jeune, était évidente, parcourt son visage mince. Son nez est grand. Sa tête plutôt petite, chenue sur le sommet. Sans doute est-il surpris du nombre impressionnant de personnes venu l'écouter ce soir. C'est probablement un record pour cet espace qui accueille tant d'illustres conférenciers. Il se cale dans un fauteuil derrière une table juchée sur une petite estrade métallique. Un immense mur blanc derrière lui sur lequel seront projetées des illustrations de son travail. Il tente de prendre la mesure de la salle sur deux étages et de la foule qui l'a envahie en parcourant des yeux la semi obscurité dans laquelle baigne son auditoire compact (beaucoup de très jeunes étudiants, certains assis en tailleur au bord de l'estrade, d'autres accoudés au balcon de la mezzanine ; on a du fermer les portes avant l'heure de la conférence). Un ami le présente. Un discours lu de quelques minutes. Eloge. Puis il saisit le micro à deux mains, cale davantage son dos en arrière.  Sa voix grave, chargée de la fumée des centaines de milliers de cigarettes qu'il a fumées dans son existence, est très belle. Il préférerait sans doute parler en compagnie d'une cigarette. D'ailleurs, à la fin de la conférence, l'un de ses premiers réflexes sera de sortir un paquet de sa poche , le montrer à ses hôtes avec un sourire interrogatif : on peut vraiment pas s'en griller une à présent ? Maudit règlement. Il est là pour présenter un travail qui vient de s'achever à Porto Alegre, au Brésil. Il montre d'abord des dessins un peu brouillons qui sont pour certains des impasses. Indispensables dit-il au processus de création qui n'est pas linéaire comme chacun sait, et qui peut même (doit ?) inverser les logiques. Synthèse avant analyse. Le tout puis ensuite les parties. Surtout ne pas s'enfermer trop tôt dans une idée qui se prétend aboutie, au risque de domestiquer la créativité. Et revenir dans une dynamique circulaire (il dessine des grands cercles avec ses bras). Emprunter ce chemin délicieux guidé par le hasard qui vous fait voyager autour d'un problème. Il fait des allers-retours entre la table et l'écran. Il plisse les yeux dans ses silences. Il scande des "une autre" impératifs pour passer à l'image suivante. Soudain, il s'arrête sur l'une d'entre elle et pointe une arabesque constituée de deux ou trois volutes perdues dans un dessin encore très libre, presque abstrait. Là, d'un imaginaire qu'il dit fabriqué sans méthodes de toutes ces choses vues, oubliées, accumulées, perdues, contaminées entre elles, surgit une fulgurance : l'idée originelle de ses rampes autour desquelles tout le projet pourra se déduire.
C'était un soir d'octobre 2013 (le 8 précisément) au Pavillon de l'Arsenal à Paris. Une conférence de Monsieur Alvaro Siza, immense architecte portugais.

mardi 8 octobre 2013

La Capitana, histoire d'une passion révolutionnaire


Mika, Micaela Feldman Etchebéhère, un nom aux accents multiples qui claque un peu comme un drapeau, et qui colle bien avec cette femme née à Moisès Ville, Argentine, en 1902, dont la vie fut entièrement consacrée à l'idéal révolutionnaire universel. Sa famille originaire de Podolie (actuelle Ukraine) avait émigré en Argentine à la fin du 19ème siècle, fuyant les persécutions à l'encontre de la communauté juive. Dès son plus jeune age elle fut donc sensibilisée à l'injustice et choisit son camp qui serait, définitivement, celui des faibles et des opprimés. A 20 ans elle est à Buenos Aires, étudiante en odontologie, participant activement à la revue d'extrême gauche Insurrexit. Le figure de Louise Michel est un modèle pour Mika. Naturellement elle soutient Trotski le banni contre Staline, ce qui lui vaut d'être exclue du parti communiste en 1925. Parce que celui qui deviendra son mari plusieurs années plus tard à Paris, Hipolito, dont elle est follement amoureuse, a besoin de repos pour soigner une tuberculose, ils partent vivre en Patagonie. Mais Hipolito, habité (dévoré) également par l'idéal révolutionnaire, se sent rapidement inutile sur ces terres du bout du monde, éloignées des lieux où l'Histoire se construit. En 1932, ils partent pour Berlin où ils vivent une courte période d'espoir dans une révolution populaire avant que la ville et le pays ne sombrent dans le nazisme. 1933, c'est le repli sur Paris qui leur offre le visage de la paix, de la beauté et de la culture. Mais un peu plus au sud, en Espagne, un conflit vient de naître entre les forces fascistes et celles de la liberté. Une fois encore, fidèles à leur convictions, ils partent et s'engagent dans le POUM. Douée d'une intelligence du combat et d'une très grande attention vis-à-vis de ses compagnons d'armes, c'est au front et dans les tranchées que Mika gagnera ses galons de capitana.
 Elsa Osorio a mis plus de 25 ans pour rassembler toute la matière de ce livre et nous permettre de découvrir la vie passionnante de ce personnage de roman que fut Mika. 
Deux questions peuvent se poser au terme de la lecture : peut-on faire un parallèle avec l'engagement de ces quelques jeunes français que l'on retrouve aux côtés des djihadistes, au Mali, en Libye ou en Syrie ? Comment l'opinion publique d'alors percevait-elle l'engagement de femmes comme Mika et de ces nombreux autres volontaires des Brigades Internationales, qui partaient risquer leur vie dans un pays étranger au nom d'un idéal de lutte contre le terrorisme d'état et plus d'égalité ?
Enfin, pour ceux qui ne l'aurait pas encore lu : "L'homme qui aimait les chiens" de Padura, l'histoire de Mercader, l'assassin de Trotski, prolonge magnifiquement ce récit.
      

samedi 5 octobre 2013

Habiter. Imaginer l'évidence. Biennale d'architecture de Caen


Caen, préfecture du Calvados, la ville de Guillaume le Conquérant (1028-1087) dont le tombeau demeure dans le chœur de l'abbatiale Saint-Etienne,  joyau de l'art roman et gothique, merveille épargnée par les bombes alliées, est aussi le lieu d'une biennale d'architecture qui s'engage avec courage dans sa 3ème édition.
Façade de l'Abbatiale St Etienne
Cette année et jusqu'au 27 octobre, l'événement est placé sous le double signe de l'habitat et du Portugal ; ce que traduit son titre "Habiter. Imaginons l'évidence", s'inspirant d'une phrase du grand architecte portugais, Alvaro Siza, quand il qualifie sa démarche de création. Deux expositions sont visibles dans le Pavillon de Normandie - un petit bâtiment portuaire à l'architecture modeste habité du charme particulier de ces ouvrages francs et fonctionnels - l'une présentant le travail de Paul Chemetov sur 16 maisons et ateliers réalisées entre 1961 et 2011, l'autre une sélection de 16 projets récents édifiés en France, chacun donnant à voir l'intelligence constructive, urbaine ou plastique déployée à l'occasion de leur conception. 
Un film-portrait sur Siza sera présenté. La biennale fait également la part belle aux débats avec un plateau d'intervenants de très grande qualité et pas moins de 2 Pritzker Price (équivalent du Prix Nobel), Siza et Souto de Moura.
Enfin, le commissaire de l'exposition est Frédéric Lenne, journaliste spécialisé en architecture, urbanisme et politique de la ville et, de surcroit, ingénieur.

Venir pour la biennale pourrait suffire comme prétexte pour faire le déplacement à Caen. Mais ce serait dommage de ne pas en profiter pour découvrir une ville en grande partie reconstruite après la 2nde guerre mondiale qui recèle, malgré l'acharnement des bombes, des trésors d'architecture. En effet, le nombre élevé d'édifices religieux remarquables - tant par la taille que par la beauté architecturale - peut étonner le visiteur de passage. L'Abbaye aux Hommes, et son alter ego l'Abbaye aux Dames, constituent sans doute les deux ensembles les plus prestigieux de la cité, au centre de laquelle veille la silhouette massive du château du Conquérant. Mais impossible de ne pas évoquer Saint-Pierre et ses dentelles de pierre, Saint-Sauveur du Marché et ses clés de voutes sculptées et peintes, ou les vestiges émouvants de Saint-Etienne le Vieux.
Palais de Justice
L'architecture civile n'est pas en reste avec les maisons à pan-de-bois (2 remarquables fausses jumelles rue Saint-Pierre), l'alignement d'hôtels particuliers de la rue Jean-Marot (1901), le collège Louis Pasteur, anciennement lycée de jeunes filles, et l'élégance du dessin de sa façade datant de 1914, avec ses motifs vernissés et ses volutes Art Nouveau, et plus près de nous (1995) le vaisseau d'acier laqué noir du nouveau Palais de Justice d'Architecture Studio, avec ses anneaux géométriques, le jeu d'emboitement des volumes et du dialogue des matières, et la solennité de la Justice reinterprétee par quatre portiques de béton brut sous lesquels l'échine, spontanément, se courbe.

Vestige industriel
L'avenir de la ville s'écrit en grande partie sur la Presqu'île de Caen, vaste territoire "en devenir" de 600 ha dont la requalification a été confiée à MVRDV, une agence hollandaise.  Il se construit déjà au présent sous l'impulsion d'un maire passionné d'architecture : la médiathèque de Rem Koolhaas (un autre hollandais) sortira de terre dans quelques semaines. Mais ce serait une erreur de ne pas considérer les quelques bâtiments anciens qui subsistent encore sur le site. Eux seuls peuvent apporter le supplément d'âme indispensable à un tel projet, et éviter la dérisoire collection d'architectures. Le minuscule restaurant "Le Quai des Brumes" a évité la démolition. La minoterie toute proche devrait être sauvée. Mais ce n'est pas le cas, semble-t-il, des hangars en bois dénommés Pavillon Savare,    
Façade bois du Pavillon Savare
qui jouxtent la future médiathèque. La composition de leurs façades en lattis bois ou dans une association de briques et de bois, leur charpente exprimant vérité constructive et frugalité, dégagent une émotion évidente.  Ces lieux ont une âme. Ils abritent aujourd'hui une association de restauration de vieux bateaux, Le Conservatoire de la navigation. Des passionnés qui croient encore aux vertus de la mémoire ; et du lien social puisqu'ils accueillent des personnes en réinsertion.
Bâteau en cours de restauration. Pavillon Savare
Le bâti - structure et façades bois - est en très mauvais état et, parait-il, rongé par les vers. Mais on maitrise aujourd'hui les techniques permettant à la fois de juguler les xylophages, et de rétablir la solidité structurelle. Bien entendu, il faudrait investir pour sauvegarder ce patrimoine. Il serait plus facile et rentable (à court terme) de tout raser et de vendre des droits à construire. Mais ce dont a besoin la ville moderne c'est de "coutures", de mémoire autant que de modernité, d'une mixité culturelle dans laquelle le dialogue entre l'ancien et le neuf constitue un liant précieux et vital. "La modernité a un cœur ancien", nous dit Renzo Piano. Caen doit s'inspirer de Nantes avec laquelle elle a de nombreux points communs (un passé industriel prestigieux, un positionnement "marin", des traces d'une activité humaine riche d'humanité, etc.). Il est raisonnable d'être optimiste.
Façade Librairie Générale du Calvados
L'Albatros, vaste oiseau des mers
Ajouté à ça que Caen est une ville forcement sympathique : les tripes y sont délicieuses (Brasserie Le Carlotta), et il y subsiste encore plusieurs librairies indépendantes, dont la magnifique Librairie générale du Calvados (superbe façade bois de 1902) et son albatros aux ailes de géant suspendu au plafond.