dimanche 30 septembre 2012

And now, ladies and gentlemen, Monsieur Léonard Cohen !


Olympia, samedi 29 septembre 2012. 19H00. Léonard Cohen en majuscules rouges sur la façade de la mythique salle de spectacle. La dernière fois, c'était il y a déjà quatre ans. Le "jeune homme" n'avait que 74 ans. Je dois retirer mes deux places au guichet. Une amie m'accompagne. Elle est déjà dans la petite foule qui attend, calme, derrière les barrières métalliques. Autour, sur le trottoir, au carrefour, il y a des revendeurs aux mines patibulaires. Des affichettes en carton "Places to sell" ou "Search  places". Comme je cherche deux places supplémentaires, je navigue entre les revendeurs. Tous les billets proposés sont aux alentours de 200€. Un type m'accoste en prétendant qu'il en vend au prix coutant. Il n'a pas franchement le look du fan de Léonard Cohen. Ses places sont à 200€. Trop chères, je cherche plutôt dans les 150 maxi. Tout en ayant bien conscience que ces tarifs ne sont a priori pas raisonnables (mais combien pour un match de foot ?). Quelques instants plus tard,  je vois mon honnête vendeur en compagnie de trois ou quatre autres individus qui s'agitent pas mal. L'un d'entre eux a la main gauche pleine de coupures de 50€ - dix ? quinze ? - qu'il compte à une vitesse stupéfiante avec les doigts de sa main droite. Un autre a son mobile à l'oreille : "Viens pas, c'est pas la peine, c'est d'la merde ici !". Je suis de moins en moins certain de parvenir à acquérir, à un prix à peu près raisonnable, deux places supplémentaires pour un couple d'amis qui sont sur le chemin et qui attendent mon appel. 19H15. Cette fois, il est possible d'entrer dans le hall. Les vigiles laissent passer la petite foule très calme entre deux barrières métalliques. Je rejoins mon amie qui a pris un peu d'avance. La moyenne d'âge dans la file d'attente n'est pas franchement lycéenne ou étudiante. Quand même, il n'y a pas que des retraités ! Une fois récupérée ma place, je retente un tour à l'extérieur en quête des fameuses deux places supplémentaires. Je me retrouve près d'une femme qui a des billets dans la main et semble ne pas savoir quoi en faire. Je tente un "vous vendez des places ?" Elle me répond d'un air désolé qu'elle vient d'acheter quatre places à 200€ pièce, mais que c'est des fausses. Elle me les montre. Pas facile de se rendre compte. Le dos du billet a cette impression irisée qui ne me semble pas évidente à imiter ; quant au recto il est exactement comme le mien. "Faites attention, avant d'acheter à un revendeur, passez un doigt mouillé sur la surface du billet. Si c'est un faux, l'encre a tendance à s'en aller !", me dit-elle. Cet avertissement très sympathique me convint de mettre un terme à mes recherches. Je préviens mes amis, et j'entre à nouveau dans le hall de l'Olympia. Sur la droite, il y a la boutique à gadgets. T-Shirts, programmes, CD, livres, mais aussi épingles à cravate (!), bagues (!!), faux Stetson à 60€ (!!!), etc. J'avise quand même un T-Shirt "I'm your man" qui pourrait être un cadeau sympa pour mon fils ainé qui a failli m'accompagner. Juste devant moi, un homme aux cheveux longs, la bouche charnue, une sorte de Borsalino sur la tête, et muni d'une étrange voix de fausset aphone, se commande toute la panoplie. Il enfile la bague immédiatement et tapotera son code de Carte Bleue tout en gardant un œil ému sur sa nouvelle acquisition. Le vendeur, sensible, l'informe qu'à l'intérieur de la bague, c'est "écrit". Quoi ? Je n'en saurai jamais rien, mais l'homme qui a troqué son Borsalino contre le Stetson n'est pas pressé de découvrir ces écrits masqués et repart comblé, portant un grand sac en plastique rempli de ses trésors, en contemplant avec gourmandise son auriculaire.
A 20h10, le concert commence avec un "Dance me to the end of love" qui ne peut faire que l'unanimité. Avant d'entamer la seconde chanson, Cohen dit quelques mots en anglais puis en français : "Je ne sais pas si nous nous reverrons un jour, mais en tout cas, ce soir, on va donner tout ce qu'on a !" Etrange phrase que prolonge un tonnerre d'applaudissements (le premier d'une longue série, devrai-je dire). Enchainement avec "The Future", aux paroles prémonitoires ("I've seen the future, brother /It is murder /Things are going to slide/Slide in all directions"). Puis un "Like a bird" très long, magnifique, dans lequel les musiciens, tour à tour, nous régalent de leur virtuosité et de leur sensibilité. Ce serait un peu long de passer en revue toutes les chansons interprétées ce soir-là (pas moins de trente) par un Cohen en pleine forme, sautillant en pas chassés à chaque entrée ou sortie de scène, rythmant de tout son corps la musique avec cette curieuse démarche comme s'il pataugeait dans la gadoue (tel un albatros ?), et très souvent à genoux aux pieds de ses musiciens, ou au centre de la scène. Une chose est certaines : les intemporelles, les sublimes, les pépites ont bien été chantées : Suzanne, Gipsy Wife, Famous Blue Raincot, I'm your man, Everybody Knows, et autres  So long Marianne ou Hallelujah dont  les refrains furent repris par une salle totalement sous le charme de cet homme d'une élégance totale : voix d'une profondeur et d'une chaleur incomparable, respect - pour ses musiciens, le public -, silhouette frêle et immense à la fois.
Il laisse à Sharon Robinson et aux Webb Sisters qui l'accompagnent le soin d'interpréter deux superbes mélodies. Deux instants supplémentaires de pur bonheur. Cohen, en retrait, dans le noir, Stetson à la main.
Près de quatre heures plus tard - 23H50 -  tout le public est debout. Trois rappels et il faut se résoudre à laisser partir l'immense poète sur l'air de  " I tried to leave you, I don't deny I closed the book on us, at least a hundred times". Petit pincement au coeur. Est-ce la dernière fois ? Ça fait quand même 42 ans qu'on se connait !...
Respect Mister Cohen, Prince des Asturies et de la poésie.
Merci à AR, d'avoir partagé ce moment d'anthologie, et qui se reconnaîtra, si elle vient jusqu'ici !...

jeudi 20 septembre 2012

Ne pas confondre !

Après une nuit de réflexion....

Ne pas confondre un ingénieur-poète et un geigneur pouet-pouet.

De même, ne pas confondre un chroniqueur et un gros niqueur (éviter donc de parler de chroniqueur quand vous êtes enrubé).

De même un hippie n'est pas un IPI (Insolite Projet Insulaire) ... Vous voyez ce que je veux dire ?

mardi 18 septembre 2012

Des chiffres qui donnent la nausée

1, 8 milliards d'euros, c'est la somme qui devrait être dépensée en aménagements divers (autoroutes, infrastructures touristiques, musée) pour célébrer le 120ème anniversaire de Mao (juste par Xiangtan, ville dont dépend Le village natal du Grand Timonier).
35 à 45 millions de morts lors de la grande famine de 1958 à 1962, selon des études extrêmement sérieuses, dus en grande partie à des des décisions absurdes prises par Mao et relayées par ses sbires à propos de politique d'industrialisation forcée et accélérée, au mépris absolu des populations.
Les "seulement" 6 millions de victimes de la famine en Ukraine du Petit Père des Peuples, de 1932-1933, "tout aussi monstrueuse, tout aussi organisée et proportionnellement tout aussi meurtrière", donne la mesure de ce génocide.



D'après la chronique de Sylvie Kauffmann "L'air du monde", "Une grande famine peut en cacher une autre", dans Le Monde daté du 18 sept. 2012

dimanche 16 septembre 2012

Vous aimez le poulet rôti ?

Cette question dont le sujet semble banal au premier abord et qui pourrait se prolonger afin d'être exhaustive, par : "rôti, oui, mais comment ?", et qui m'a récemment été posée par l'un de mes amis proches (PN, pour ne pas le nommer) comme un défi personnel, constitue, n'en déplaise aux végétariens de toutes plumes, une question fondamentale qui interroge, non seulement la Place Beauvau, mais les problématiques de l'élevage intensif, mais aussi mon boucher avec sa rôtissoire à double broche électronique qui prend olfactivement en otage l'intégralité de l'avenue Pasteur,  et d'une manière plus fondamentale encore, sinon tragique,  le champ de la littérature. C'est à ce dernier questionnement que j'invite le lecteur en ce jour de la Sainte Edith dont le martyr n'aura pas été vain, depuis les marches de ciment gris de l'escalier extérieur de mon pavillon de Bécon-les-Bruyères duquel je suis exclu faute de disposer des clés pour y pénétrer, vu que je viens d'accompagner ma femme au train à Montparnasse, qu'elle a bien pris le soin de refermer la porte du pavillon, d'emporter le jeu de clés avec elle, et que moi, humble chauffeur dominical n'ait pas eu le réflexe domestique de m'emparer d'un double. (Ah ! Le réflexe domestique pour nous autres poètes !). On ne va pas se plaindre quand même : le ciel est bleu, la température ambiante est juste fraiche, une voisine passe l'aspirateur, un voisin, la perceuse, et les éboueurs ont ramassé les poubelles. Et heureusement, il ne devrait pas m'être imposée la vision d'un serrurier faisant sauvagement sauter la porte avec un pied de biche tout en exigeant pour cette performance - "vous m'avez demandé d'ouvrir votre porte ou quoi ?" - une somme de 200€, exclusivement en petites coupures  usagées de 5 et 10€ ("non Monsieur, je ne prends pas les chèques, oui, je peux attendre que vous alliez au distributeur"), car mon fils repose dans sa chambre après une nuit agitée à la Fête de L'Humanité (que sont devenus les "camarades" ?), et que mon âme de père compatissant et post soixantehuitard s'interdit de l'extraire immédiatement de son sommeil de guerrier fatigué, et des temps modernes malgré tout. Mais toutes ces considérations, que d'aucuns pourront juger futiles, nous ont éloignés de notre propos initial que je me permets de vous soumettre avec une acuité (cuit ou rôti ?) qui me surprend moi-même, et dans une perspective exclusivement romanesque : et si le petit Marcel avait retrouvé sa mémoire grâce à un poulet rôti à la peau dorée et croustillante (forcément accompagné d'une vraie purée qui se tient suffisamment pour y sculpter en partie centrale un minuscule cratère, réceptacle précieux du jus de cuisson dont le surplus sera utilement recyclé dans un plat de coquillettes),  plutôt qu'à une madeleine molle et un peu chochottte,  ne croyez vous pas que la littérature mondiale en eut été bouleversée ? Autrement dit, n'est-il pas possible d'affirmer que les géants de la littérature que sont Hemingway, Faulkner, Garcia Marquez, Pessoa, Duras ou Frédéric Dard qui tous, ce sont crus obligés de se positionner par rapport à cette question obsédante de la madeleine, n'auraient pas produit une œuvre encore plus sublime, si Proust avait plutôt écrit :


"Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire déguster, une fois n'est pas coutume, un peu de poulet rôti, une de ces volailles dodues dont le fumet de cuisson, festif et gouleyant, emplissait avec générosité, à cet instant, l'espace intime de la maison.

Lobo Antunes sur Arte : rare !


Heureusement qu'un ami (HG, qui se reconnaîtra s'il parvient jusqu'ici), m'a alerté de la diffusion, ce dimanche, dans le cadre de l'émission "Square" sur Arte, d'un entretien avec Antonio Lobo Antunes, l'immense écrivain portugais ! Antunes fuit les interviews et les mondanités. C'était donc une occasion magnifique de découvrir l'antre de l'écrivain - une maison-atelier envahit par les livres -, et de l'entendre réagir (sans complaisance) aux questions enthousiasmées du journaliste. Je laisse parler l'écrivain.
A propos de son expérience pendant la guerre d'indépendance de l'Angola : "On n'a pas conscience de la violence qu'il y a en nous. La facilité avec laquelle on a tué. On se fait très bien au fait que les vies ne valent rien. (...) La façon de regarder le temps est propre à l'Afrique."
La sensualité : "Je n'aime pas la sensualité évidente"
Un livre : "Plus il y a de silence, plus j'aime ça. (...) Je ne relis jamais un de mes livres. (...) Quand un livre est fini ? C'est comme un tableau, il n'est jamais achevé, définitivement inachevé. (...) La fin d'un livre, c'est comme la fin d'une relation avec une femme : vous sentez qu'elle n'a plus besoin de vous. Le livre va au bout du lit. Il ne veut plus de vous.(...) C'est très confortable de vivre entouré de livres.Ils sont bons quand ils ne dorment pas."

samedi 15 septembre 2012

Agora 2012 : Souto de Moura versus Rem Koolhaas

Pouvoir écouter deux Pritzker Price à la suite et entendre deux discours sur des registres radicalement opposés, vous en rêviez ?... Agora 2012* l'a fait !
Physiquement, l'un est un peu nounours, l'autre est sec comme un prédicateur protestant. Sur le plan vestimentaire, l'un s'en fout et ressemble à tout sauf à un architecte, l'autre soigne habilement son look : pull vert assez prêt du corps et boots en cuir, crâne et barbe soigneusement rasés. L'un raconte des histoires en affirmant que la pire chose en architecture est la prétention, l'autre proclame que "l'architecture est un art égoïste qui ne sait qu'exploiter un site alors que l'urbanisme est une profession généreuse qui révèle un potentiel". L'un s'attache à la question de la fenêtre, à la couleur de l'enduit, l'autre affirme que "le problème de l'urbanisme est d'être perpétuellement stressé et obsédé par la question du centre". L'un déclare que "la beauté, quand elle est toujours présente, finie par fatiguer", l'autre ne sait pas et ne veut probablement pas savoir ce que représente la beauté.
Souto de Moura parle de l'architecture du quotidien, et Rem Koolhaas discoure sur la Pensée architecturale, si possible iconoclastique. Le portugais parle de retrouver les traces du bâti et d'économie du projet, le hollandais affirme que la préservation (du patrimoine) est une conception purement occidentale (?) et qu'il faudrait envisager une nouvelle bureaucratie pour statuer sur les quartiers à démolir. Le premier n'envisage même pas de faire des tours, quand le second - qui a au moins réalisé celle pour la télé chinoise - déclare que c'est un concept dépassé.

vendredi 14 septembre 2012

Un écrin blanc pour Cheval Blanc

Pour une première découverte du chais du Château Cheval Blanc dessiné par Christian de Portzamparc, il faut se poster sur la D244, près de l'entrée du Château La Dominique tout (trop ?) proche. De là, avec en premier plan les rangs de vigne taillés au cordeau, le ruban de béton et sa coiffe végétale déploie toute l'élégance d'une silhouette qui relève davantage du domaine de la haute couture que du bâtiment.
Le chais comporte trois niveaux : un sous-sol - le saint des saints - où sont entreposés les fûts de vieillissement, disposés religieusement comme des stalles dans le chœur d'une église ; le rez-de-chaussée où sont alignés comme à la parade les très grandes cuves en béton réservées au tout premier stockage du vin ; enfin le toit lui-même, formidable belvédère aux allures de deck marin,  paysagé sur son pourtour de roseaux fragiles qui ondulent avec le vent.


lundi 10 septembre 2012

Home de Toni Morrison

"Ici se dresse un homme", c'est ainsi que Toni Morrison, 81 ans, Prix Nobel de Littérature 1993, achève son dernier et court roman "Home". C'est également avec l'image de chevaux magnifiques qui se dressent comme des homme qu'elle entame cette histoire de Franck, le jeune homme de retour de la guerre de Corée où il a perdu ses deux amis d'enfance et sans doute sa raison, et de sa jeune sœur Cee, "une fille du ruisseau" ; une histoire pleine de douleurs mais aussi d'amour, de cruauté et d'attention, dans une Amérique des années 50 impitoyable pour ces damnés de la terre - car noirs et pauvres.
L'écriture de Toni Morisson n'est pas seulement belle, elle est digne, ciselée dans la matière humaine, avec ses héros anonymes et ses lâchetés, ses misères quotidiennes et la beauté des choses simples. C'est un livre qui inspire à la bonté et à l'apaisement quand les situations qu'il décrit sont, pour certaines, d'une très grande violence.
Extraits :
 "Sarah sortit d'un tiroir un long couteau pointu et, se réjouissant infiniment du plaisir à venir, coupa la fille* en deux."
"Ayant absorbé tout le bleu du ciel, le soleil se prélassait dans un paradis blanc, menaçait Lotus, torturait son paysage, mais échouait, échouait, sans cesse échouait à le réduire au silence : des enfants riaient encore, couraient, criaient leurs jeux (...)"
* non, il ne s'agit pas d'un policier gore : la fille en question n'est qu'un melon femelle... !

dimanche 9 septembre 2012

Veinard(e)s : on a presque tout changé à droite !

Centre de recherche Thomson-Houston de Claude Parent et Paul Virillio Architectes

Galeries de la rue Saint-Claude dans le 3ème


Courte visite dans plusieurs galeries de la rue Saint-Claude ce samedi, jour de vernissage et de "rentrée artistique".
A noter la toute nouvelle galerie MGE, au 7, qui profite de cette rentrée pour faire son ouverture. MGE présente l'originalité d'appartenir à une personne qui n'appartient pas au petit monde de l'art ; qui plus est, l'homme a une formation d'ingénieur et, après une carrière dans le monde du BTP, a le courage de se lancer dans sa passion. Chapeau.
Trois expositions retiennent particulièrement l'attention :
- à la Galerie Perrotin, "Wild Thought", des céramiques figuratives de Klara Kristalova, d'une force expressive remarquable

- toujours chez Perrotin, "Thirty-six Unknown Poets" d'Hernan Bas, avec en sous-titre "or, decorative objects for the homosexual home", présente des portraits miniatures de jeunes hommes androgynes dont le dessin et les couleurs sont admirables.


- à la galerie Jean-Luc & Takako Richard, où Stefan Hoenerloch, un artiste berlinois d'une cinquantaine d'années, expose un travail entre la photo et la peinture où des territoires urbains aux perspectives imaginaires baignés dans une lumière froide et précise, désertés de leurs habitants, révèlent un univers fantastique comme une invitation à pénétrer dans l'intimité et l'absence de ces lieux muets.

La mort d'Artemio Cruz de Carlos Fuentes

"La mort d'Artemio Cruz" de l'écrivain mexicain Carlos Fuentes, disparu en mai de cette année, n'est pas un roman "facile", c'est à dire un de ces livres que l'on dévore parce que l'histoire est limpide, le style fluide, ou le thème proche de notre imaginaire.
L'histoire du Mexique pour laquelle seules les figures de Pancho Villa ou de Zapata peuvent évoquer quelque chose au lecteur moyen (que je suis), un récit volontairement chaotique composé d'allers retours entre les passés d'Artemio Cruz - amoureux transi, révolutionnaire, politicard, profiteur, opportuniste, riche homme d'affaires, amant, père, ... - et son présent de grabataire au seuil de la mort, veillé par sa femme et sa fille dans une relation ambiguë tout à la fois de haine et d'attirance, et une écriture non conventionnelle traduisant l'exploration ultime d'une vie passée, par un vieillard assailli par la douleur physique de la maladie qui le relance continuellement ; voila les trois ingrédients majeurs qui donnent au livre à la fois sa richesse et sa complexité.
Cet ouvrage pose ainsi une question : celle de l'exigence en littérature ; de la nécessité de cette exigence car lire ne peut se réduire uniquement à une simple distraction - un divertissement que l'on consomme pour faire passer agréablement le temps (ce qui est la vocation d'un "best-seller") -, mais constitue - aussi ! surtout ? - une démarche de connaissance et de réflexion - sur soi, les autres, les choses du monde ; démarche qui ne doit pas être exclusivement réservée à une élite.
A côté de passages au style parfois déroutants (très nombreuses aposiopèses, longues successions de ":", d'adjectifs, de mots, de verbes, logorrhée, ..., traduisant bien le chaos mental du mourant, et une certaine panique devant l'échéance fatale), "La mort d'Artemio Cruz" recèle des instants de pure poésie, d'autres très romanesques, et certains encore profondément philosophiques. Extraits :
"De l'autre côté du fleuve apparut alors quelque chose qu'ils n'avaient pas vu. Un grand orme sans feuilles, grand, beau, blanc. La neige de le recouvrait pas, mais un givre brillant. Il étincelait comme un bijou, tant il était blanc dans la nuit. Il sentit le poids de son fusil sur l'épaule, le poids de ses jambes, ses pieds de plomb sur le bois du pont : tant cet orme qui les attendait lui paraissait léger, lumineux et lointain. Il serra les doigts de Dolores. Le vent glacé les aveuglait. Il ferma les yeux."

"(...) vivre c'est trahir ton Dieu : tout acte de la vie, tout acte qui nous affirme comme des êtres vivants, exigent que soit violés les commandements de ton Dieu (...)"

Le passage où la calèche d'Artemio et de son épouse Catalina traverse une procession de pèlerins, celui de la poursuite dans la montagne des troupes du colonel Zagal, la capture et la fuite d'Artemio Cruz, ou les instants précédents la mort de son fils Lorenzo dans les montagnes catalanes lors de la guerre d'Espagne - mais plein d'autres passages encore - sont d'une très grande beauté romanesque.
Résonnent les parles d'Amy, une héroïne de Philip Roth : "Il fut un temps où les gens intelligents se servaient de la littérature pour réfléchir."

vendredi 7 septembre 2012

Rock in Chair : Gold Concert

De notre envoyé spécial.
Concert anthologique hier à La Flèche d'Or, et jusque tard dans la nuit, où les fantômes des Floyd, Lennon, Bowie, Cocker, Chichon et autres Ferrer étaient convoqués et magistralement interprétés par deux formations qui n'ont d'amateur que le statut professionnel, devant un public privilégié d'amis une nouvelle fois transporté par les riffs, la rythmique et les solos rageurs des Valéro's father and sons, et le romantisme tripal du Ameller's band.


 LE Spectacle de la rentrée. Chapeau men !
Avec vous on a tous les jours 20 ans !

mercredi 5 septembre 2012

Common ground Venise (Part 3)

Quelques phrases glanées au gré des déambulations :

"Savor kindness because cruelty is always possible later."
Phrase inscrite sur un tabouret en marbre blanc de la Fondation P. Guggenheim.
Artiste : Jenny Holzer 1950 "Imperial White"


"All ideas and suggestions needs to be considered and reviewed."


"How openess to influence is a starting point, and a prerequisite for good architecture."

"Don't think too much before you start working, and don't work too much before you stop and start to reflect."

lundi 3 septembre 2012

Common Ground Venise (Part 2)



Quoi d'autre ? Le film de Wim Wenders sur Peter Zumthor visible à l'extrémité ultime (ça existe ?) de l'Arsenal, au rez-de-chaussée d'une tour en brique guettant l'entrée du chenal de guerre. L'architecte d'Haldenstein (petite bourgade sentant l'étable des environs de Chur en Suisse) est suivi dans son atelier où on le voit tour à tour dessiner, scruter l'intérieur d'une maquette, en élever une autre pour tenter de mesurer l'effet d'un revêtement, se faire un café pieds nus, guider une collaboratrice, se relaxer derrière son bureau en réglant le son de sa chaîne Hi-fi. Zumthor parle et rit... même (Zumthor rit ?).
Et puis on sort de la mini salle obscur qui - succès oblige - sent un peu la transpiration (tendance, entrée de la Mosquée Bleue à Istanbul), et le soleil nous saisit. Nous faisons quelques pas et dans un mirage apparait le Maître lui-même, tout vêtu de bleu (ample chemise et ample pantalon bleus de toile légère), les lunettes qui pendent sur son torse, et une démarche inimitable (des pas assez longs qui semblent glisser sur le sol). On ne se précipite pas pour lui serrer la main ni pour lui faire savoir qu'il n'existe probablement pas - mais nous n'avons pas la prétention d'avoir visiter tous les lieux de la terre - un espace contemporain aussi sublime que ses thermes dans l'eau desquels nous nous épanouissions il y a encore quelques semaines... On ne se précipite pas, et on le regrette encore !...
On se reprend car "Common Ground" c'est justement tout le contraire de la "fanitude" et de la "starisation" : "I wanted to encourage my colleagues to react to the prevalent professionnal and cultural tendencies of our time that place such emphasis on individual and isolated questions." dixit David Chipperfield (l'architecte, pas l'effaceur de semi-remorques !).
Quoi d'autres ? Le Pavillon français où, bien que tout soit traduit en français, on ne comprend pas bien qu'est ce que tout ce qu'on a voulu nous dire, sauf que c'est trop grave. 1er slogan : "Place à l'action locale, stop au générique !..." OK, mais suis pas certain que mon pharmacien.... 2ème slogan : "il vaut mieux être grand et ensemble que petit et chacun pour soi". Bon, j'avoue : c'est facile.
Voûte en vases de brique

La très belle installation grandeur nature d'Anupama Kundoo qui nous permet de pénétrer dans des espaces construits par des jeunes étudiants et des villageois indiens,  à partir de matériaux en terre cuite (mais du cru quand même !) ou de récupération assemblée avec des techniques ingénieuses mises au point par Anupama (architecte, enseignante et auteure d'un ouvrage sur l’œuvre de Roger Anger).
Coques sensuelles ?
On passe sur l'ode à la sensualité débridée des coquilles de LA Pritzker Price qui (dixit l'auteure, avec modestie) s'inscrit dans la lignée des grands pionniers de l'élégance structurelle que sont Otto Frei ou Heinz Isler ; ode qui parvient quand même (performance) à se raccrocher au thème de la biennale (c'est vrai que "Common Ground", ça peut brasser assez large !).
On remarque au détour d'une installation un dessin représentant Léonard Cohen (???).
Les russes tentent de rigoler avec le soviétisme (l'humour russe, moi je m'en méfie !).

Pavillon Russe
On passe sur les installations ou pavillons qu'on n'a pas compris (un certain nombre), et ceux qu'on a pas visités (un nombre certain), et on s'arrête un instant sur l'un des plus "ouf" : celui d'Israël.
Imaginez deux étages de gadgets, de photographies et de mini installations ; chacun de ces objets, symbole d'un évènement-clé des relations entre Israël et les USA, est accompagné d'une étiquette avec un prix ; au mur un slogan en grosses lettres affirmant qu'Israël est le porte-avions insubmersible des Etats-Unis au Moyen Orient ; en résumé, une dénonciation radicale de la dérive d'Israël des idéaux socialistes de sa création au consumérisme le plus absolu. Ajoutez une pointe d'humour supplémentaire : à la sortie, un panneau indicateur de la direction du pavillon américain...
Eh oui : lui-même ! Léonard Cohen !