dimanche 30 mai 2010

Bâlade architecturale

Bâle constitue pour l’amateur d’architecture en général, et d’architecture contemporaine en particulier, une destination de rêve.
Il y a les « incontournables » : le Campus Vitra - et sa toute nouvelle star la Vitra House - et la Fondation Bayeler. A eux seuls, ces deux ensembles méritent le déplacement.

Nicholas Grimshaw, le premier à relever le défi
Le Campus Vitra est situé un peu en-dehors de la ville elle-même, mais d’accès facile (Tram N°6). C’est en 1981, après un incendie qui détruit pratiquement 60% des stocks du site, que la société Vitra, éditeur de meubles depuis les années 50 avec Charles et Ray Eames, s’engage dans la commande de bâtiments « griffés », confiés à des architectes de renom.
Nicholas Grimshaw est le premier à relever le défi, et réalise en quelques mois un premier hall de stockage dont l’enveloppe de métal argenté, dans un vocabulaire à peine « High-tech », semble aussi simple qu’efficace.


Les premiers pas de F.O. Gerhy en Europe
En 1989, Vitra s’engage avec Franck Gerhy et lui propose de dessiner le musée de la marque : le Vitra Design Museum. En réalisant ici son premier bâtiment sur le vieux continent, l’architecte californien donne une véritable impulsion à la notoriété de la marque et du site ; et à la sienne au passage. Le monde découvre alors ce que les critiques ont dénommé : le déconstructivisme.

Viendront plus tard en 1993 l’American Center de Bercy (une déception), en 1997 le Guggenheim de Bilbao (une réussite), et un nombre très important de curieux édifices posés un peu partout sur la planète, reconnaissables entre tous par ces incroyables arabesques de volumes enchevêtrés dont la fantaisie plastique est (paradoxe ?) calculée grâce à un outil informatique d’une rigueur absolue : Catia, un logiciel développé pour l’aéronautique.
L’échelle du bâtiment n’est pas comparable à celle de Bilbao, ou même de la future Fondation Louis Vuitton pour l’art contemporain (sensiblement le gabarit de Beaubourg) logée au Jardin d’acclimatation. Dans la production de Gerhy, il s’agit plutôt d’une sorte d’échantillon. La matière reste assez conformiste : béton revêtu d’un enduit blanc et zinc en couverture. Mais les déhanchements sont au rendez-vous et les volumes se télescopent créant des arêtes improbables. L’architecte a revisité le modèle de la marquise d’entrée en y substituant un cube évidé en suspension audacieuse.


Dans les années 93, 94, le Campus Vitra s’enrichit de trois nouvelles œuvres qui témoignent de la richesse et de la variété de l’architecture contemporaine. Comme le soulignait Christian de Portzamparc dans son discours inaugural de la chaire de Création artistique au Collège de France le 2 février 2006, sur le plan architectural, l’époque actuelle est caractérisée par le fait qu’il n’y a plus de style admis par tous, de doctrine ; « C’est le trait majeur de notre nouvelle modernité. » Parole à méditer, au-delà du seul champ architectural évidemment…

Minimalisme et fulgurance plastique

Deux architectures opposées vont surgir sur le campus : l’une minimaliste, inspirée par la philosophie Zen, due à l’architecte japonais Tadao Ando, l’autre, dans un vocabulaire plus agité, propre à l’architecte irako-britannique, Zaha Hadid.

Tadao Ando, qui aurait du coiffer la poupe de l’île Seguin par la fondation Pinault, a conçu un centre de conférences minimaliste que l’on mérite après un parcours gentiment initiatique à travers une prairie peuplée de cerisiers.

Comme pour se préserver de la contamination possible de son ainé, le Vitra Museum situé à proximité immédiate, l’architecte a placé entre eux un mur assez long, imprimant à son tour sa marque de fabrique : un béton dans lequel les trous de banches forment une matrice d’une rigueur et d’une propreté imparable.
Plusieurs petits corps de bâtiment distincts reliés entre eux par un jeu de cours et d’escaliers, composent l’ensemble. Chacun abrite une salle de travail. L’ensemble a été conçu dans le respect de l’unité de mesure japonais, le jo ; soit 91 cm x 182 cm, les dimensions d’un tatami.
Toute cette attention et cette retenue ne suffisent pas à créer l’atmosphère si particulière de certaines œuvres d’Ando. La cour intérieure a des allures de promenade carcérale. On peut regretter l’absence d’un bassin de lotus et d’agapanthes ; ses reflets et sa fraîcheur poétiques.


Pour ce site industriel de plusieurs hectares, il fallait une caserne de pompiers. Vitra demande à Zaha Hadid de la concevoir. L’architecte, dont le talent reste à cette époque virtuel – elle a produit beaucoup de dessins mais pas ou très peu de réalisations – va concevoir avant tout une œuvre plastique.

On y retrouve l’éloge de la fluidité des lignes, des arêtes vives, de la « fonction oblique » chère à Claude Parent et du béton brut (très brut).
Les soldats du feu ont tenu, semble-t-il, moins de trois ans dans cet univers impitoyable fait de murs penchés, de chicanes, d’angles aigus et de matériaux peu chaleureux (un comble !).

Reste aujourd’hui un espace vide, déserté par les camions astiqués et les casques rutilants, qui se visite comme un prototype architectural.

Architecture et modestie

Dans ces mêmes années, une troisième œuvre vient compléter le dispositif. Alvaro Siza, immense architecte portugais, érige en 1994 une enceinte de briques rouges posée sur un soubassement de pierre grise dont la ligne supérieure est juste soulignée d’un profilé métallique noir.

Cette œuvre d’une très grande modestie, mais d’une force indéniable, cache un atelier de stockage. La façade est percée de grandes ouvertures verticales qui en révèlent l’épaisseur, lui conférant ainsi une matérialité supplémentaire.

Fragmentation-défragmentation du bâti


Et donc, enfin, la star : la Vitra House, le show-room de l’entreprise qui a été livrée au premier trimestre de cette année ; la dernière production de l’agence bâloise Herzog et de Meuron. Imaginez plusieurs maisons (5 ou 6) de forme traditionnelle : un toit à deux pentes, des murs de façade pleins, une volumétrie de longère, et des pignons totalement vitrés. L’extérieur est entièrement peint en noir, couleur bitume. L’intérieur est blanc immaculé. A présent vous vous amusez à empiler ces maisons les une sur les autres et, avec une paire de ciseaux savants, vous les emboitez afin d’obtenir une composition apparemment désordonnée qui fait la part belle aux porte-à-faux.

C’est ainsi que pourrait être résumé cette œuvre spectaculaire qui constitue une sorte d’aboutissement dans le travail de l’agence sur ces quelques dernières années. Cet exercice, qui évoque l’idée d’une fragmentation-défragmentation, et me rappelle la vénus de Millo de Dali ; celle dont le corps est équipé de tiroirs.

La promenade à l’intérieur de cette demeure de milliardaire est une expérience inoubliable : les perspectives sont époustouflantes, les combinaisons de volumes démultiplient les dimensions, les vues sur les collines avoisinantes exaltent les sens. L’émotion est garantie.


Prochaine livraison sur le Campus Vitra : un entrepôt des japonais de l’agence Sanaa, auteur du Louvre à Lens et retenus pour rénover la Samaritaine à Paris.
En définitif, pas moins de six Pritzker Price (équivalent du Prix Nobel d’architecture) sont intervenus sur le Campus Vitra qui constitue désormais, à lui seul, un véritable concentré d’architectures contemporaines.

Second lieu « incontournable » de Bâle : la Fondation Bayeler de l’agence Renzo Piano (Pritzker Price également).

Situé au Nord-Ouest de la ville, en bordure de route et en limite d’une petite agglomération, le bâtiment de grès rouge et ardoise est en léger surplomb par rapport à la campagne immédiate d’où parvient le son bucolique des cloches qui tintinnabulent aux cous des vaches (suisses évidemment). Le plan est très simple : trois travées toute en longueur orientées nord-sud, dessinées par des refends habillés en extérieur de cette merveilleuse pierre marbrée dont chaque élément semble vouloir raconter une histoire ; un niveau principal d’exposition et d’accueil (le RDC), et un sous-sol principalement affecté aux réserves, à des ateliers et partiellement aménagé en espace d’exposition.

Une ombrière blanche, en guise de brise-soleil, composée de panneaux métalliques perforés et parfaitement ajustés, souligne avec élégance le périmètre de la toiture.

Le bâtiment prend place dans un site paysagé luxuriant et, tel Narcisse, contemple son reflet dans l’eau d’un bassin (presque) sauvage.

Les espaces intérieurs sont au service des œuvres et du visiteur. Pour les œuvres : le blanc parfait des grandes surfaces verticales, un espace modulable, et une qualité de lumière exceptionnelle dont le parcours précis au travers des différents filtres d’une sur-toiture savante est ajusté à la luminosité extérieure.
Pour le visiteur : un circuit limpide, des perspectives magnifiques sur l’extérieur, une acoustique et un confort thermique sans faiblesses, des spots en très petit nombre et quasiment invisibles, des expositions de très grande qualité (actuellement une rétrospective Basquiat).

On change tout !

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mercredi 19 mai 2010

Les Bons Enfants


"Les Bons Enfants", c'est l'histoire d'une seconde passion comme celle d'une seconde vie ; pour François-Pierre Lobies, imprimeur-éditeur, il a fallu trahir (momentanément !) sa relation de toujours avec l'écrit et le livre, pour réaliser un rêve : celui d'inventer un lieu unique où se conjuguent tous les ingrédients d'un certain art de vivre dont le fil rouge serait la Cuisine. Pas n'importe laquelle, celle de l'attention : des produits choisis, de leur préparation, de leur cuisson, de leur présentation, jusqu'à celle qui donne au lieu cette chaleur particulière.
Pour servir cet idéal hédoniste, François-Pierre Lobies est parvenu à convaincre un jeune chef japonais, Keigo Kimura, de délaisser les ors culinaires de la capitale (Le Ritz) où il œuvrait en second, pour s'exercer aux charmes plus intimes d'un piano de province, au cœur d'un gros bourg assoupi des confins de la Bourgogne et du Bassin Parisien, au nom prédestiné pour l'aventure : Saint-Julien du Sault.
"Les Bons Enfants", c'est deux concepts : le "bistrot" et le "restaurant gastronomique". François-Pierre Lobies confie qu'il n'apprécie pas vraiment ce terme "gastronomique" ; il lui trouve une allure prétentieuse qui ne lui convient pas du tout. Il tenterait bien l'anoblissement du plus modeste de ses deux établissements - et de bistrot, nous passerions à restaurant - tandis que le second recevrait une appellation indiquant qu'il s'agit plus d'un lieu de recherche culinaire. A suivre.
Qu'importe, pourrait-on se dire, puisque le plaisir est présent, quelque soit la salle du rendez-vous ! Mais chez le maître de séant, l'attention se conjugue avec une certaine précision, et il ne renierait certainement pas la devise du grand architecte américain, Mies Van der Rohe : "Dieu est dans le détail."

Venons-en aux faits !Commençons par la modestie.
Une petite salle donnant sur une grande place écrasée par la stature gothique d'une collégiale du 12ème siècle. Une banquette en moleskine rouge comme une métaphore de bistrot, de charmantes suspensions animalières au-dessus d'une petite vingtaine de tables, des convives qui se prennent - à raison - pour des invités, et un menu à 28€, qui est à lui seul un prodige.
A la carte ce soir-là :
Au chapitre des entrées :
- un velouté glacé de petits pois, rehaussé de copeaux minuscules de bacon grillé, comme une petite provocation dans une composition végétarienne
- des gambas en papillotes croustillantes et son pistou (inspirée de Robuchon qui s'imposait, pour une clientèle précieuse et fortunée, la langoustine royale)
- foie gras de canard maison (simplement irréfutable)
Dans le corps du menu à présent :
- Une tête de cochon, en roulé, et sa sauce charcutière dite Robert ; le moelleux de la viande et l'acidité du cornichon ne cessant de s'échanger des œillades complices.
- Une joue de bœuf braisée au vin rouge, poire poches au vin rouge, dont le fondant est inoubliable (à se "rouler dedans" pourrait-on dire !)
- Un supion de pintade "manchonné", sauce vin jaune et champignons, comme une réhabilitation goûteuse d'une volaille trop souvent banalisée

Le dessert :
- Un fondant au chocolat, pour bien affirmer la maîtrise des fondamentaux
- Une très simple salade de fruits, sorbets (des fruits frais, et des sorbets qui valent des Berthillon ou des Bernard)
- une crème brulée à la vanille, qui respecte admirablement son cahier des charges : brûlant du croustillant de la cassonade sur le dessus, et fraîcheur du cœur de la crème.
Ce repas s'accompagna du deuil d'un Chinon 2004 "Les Picasses", de chez Catherine et Pierre Breton qui fit un honneur brave à cette jubilation gustative.
Faut-il vous dire que l'apéritif - une coupe de champagne par exemple et sa gougère tiède - est offert ?

Faut-il parler de la seconde table, celle où le chef s'emploie à démultiplier ses talents ? Certainement, mais juste un commentaire : elle dame le pion, haut la main, à un bon nombre de tables chichiteuses qui paradent dans certains guides, à la manière d'un geai paré des plumes du paon ! Je ne citerai pas de noms...
"Les Bons Enfants" dispose également, pour les beaux jours, d'une salle en plein air avec vue imprenable sur les arcs-boutants de la collégiale et ses audacieux pinacles ; d'une terrasse supplémentaire, récemment aménagée, qui se languit aux pieds d'une très ancienne et très vétuste bâtisse dont la restauration prochaine permettra d'offrir des chambres aux hôtes de passage afin de prolonger, in situ, les délices de la table par ceux de la position horizontale.

Le quai de Ouistreham


Florence Aubenas est cette journaliste qui fut enlevée en Irak en 2005 avec son chauffeur et retenue en otage pendant 5 mois. Je me souviens avoir vu en direct son arrivée sur le tarmak de l'aéroport de Vélizy-Villacoublay. Elle était étonnamment souriante et décontractée. On aurait pu alors imaginer revoir cette femme quelques jours plus tard sur les plateaux de télévision, en "Prime Time", son portrait et sa biographie en long et en large dans les colonnes des quotidiens et, pourquoi pas, un reportage dans Match. Rien de tout ça ; plutôt le silence, l'éloignement des feux de la rampe dans une sorte de pudeur admirable.
Et puis ce livre, 5 ans après, "Le quai de Ouistreham", qui caracole parmi les meilleures ventes en librairie depuis sa sortie en février dernier.
C'est à une autre sorte de prise d'otage que Florence Aubenas nous invite : celle de ces employées - des femmes pour la plupart - prises dans les tenailles d'une vie faite de petits boulots de survie - l'échelle du temps n'est plus ni la semaine, ni la journée, mais l'heure - , où tout grain de sable - une batterie de voiture qui flanche, un seau d'eau malencontreusement renversé, un mal de dents - prend des allures de catastrophe. Pendant 6 mois, Florence Aubenas, s'est mise dans la peau d'une agent de nettoyage, partageant la vie de ces femmes qui se débattent avec le quotidien. Un quotidien misérable, d'exploitation, fait de petits matins froids et de soirées glauques, dans des décors sinistres de faubourgs sacrifiés. "C'était il y a même pas 10 ans, mais ça parait tellement loin, une civilisation engloutie." Ballotées par le Pôle emploi condamné lui-même par le gouvernement à faire du chiffre et produire de la statistique positive, soumises au sadisme banal de certains "petits chefs", jonglant avec les emplois du temps impossibles, scrutant à la loupe les bonnes affaires des surfaces alimentaires "hard discount", elles appartiennent au lumpen-prolétariat d'aujourd'hui. Leur seule conscience de classe est la résignation. "Plus on nous fait travailler, plus on se sent de la merde. "Plus on se sent de la merde, plus on se laisse écraser."
On ne sort pas indemne de cette lecture. La plupart de nos soucis paraissent totalement dérisoires.
Mais ce livre n'est pas seulement un reportage froid et objectif de conditions de vie inacceptables ; c'est très souvent des phrases, des images, servies par un très beau style.
"... le tortillon des glaces à l'italienne dessine les après-midi en famille, les dimanche où il ne pleut pas."
"Les gestes ressemblant à des frissons, tremblants et raides, tendus contre l'humidité qu'on sent prête à se faufiler entre les couches de vêtements, à chaque mouvement, comme des doigts glacés jusqu'à la peau tiède."

lundi 17 mai 2010

On change tout !

Toutes les photos de droite (sauf une) ont été changées !

dimanche 16 mai 2010

Les Bons Enfants

En gestation, un article sur ce lieu exceptionnel inventé par un passionné où on mange remarquablement bien, pour une somme déraisonnable (tellement ça pourrait être plus cher !), au pied d'une collégiale du 12ème siècle, dans un décor parfait !
Que demander de plus ?

En Islande, Il n'y a pas que des volcans capricieux


Il y a aussi des auteurs de romans policiers qui ont du talent. Arnaldur Indridason en fait tres vraisemblablement partie. "Hiver adriatique", son dernier roman traduit aux éditions Métailié dépeint, avec beaucoup de réalisme, une société islandaise a la derive entre la haine de l'autre - les travailleurs émigrés, souvent de nationalité thaïlandaise -, le couple dont l'avenir s'écrit plutôt dans le divorce et l'infidélité, l'adolescence imbécile victime des deux facteurs précédents et qui "zone" dramatiquement. Indridason donne également à ses personnages, et en particulier le commissaire Erlendur, hante par la mort de son jeune frere lors d'une escapade de jeunesse, une profonde humanité avec la fragilité qui l'accompagne. L'intrigue est pleine de points d'interrogation, d'impasses, jusqu'à son dénouement ; le tout servi avec du style et sans effets de manche.
Bref, un roman policier a recommander a ceux qui ne sont pas amateurs du genre ; et aux autres aussi, très probablement.

dimanche 9 mai 2010

Mémoire d'un dîner d'outre-tombe


Le Chateaubriand est bien un restaurant à part. Classé meilleur restaurant de France et N°11 dans le monde pour le guide S.Pellegrino, le chef basque au nom imprononçable, Inaki Aizpitarte, vous régale le soir d'un menu unique à 45€ comprenant un amuse-bouche, 3 plats et un dessert.
Le contenu de l'assiette est plutôt original sans extravagance. J'ai personnellement regretté la tiédeur - volontaire m'a-t-on appris - des plats. Dommage aussi qu'il y ait autant de bruit : dîner entre amoureux quinquas à éviter (les plus jeunes sont peut être plus habitués au vacarme) !
Le chef est très sympa. Il conjugue amour de la gastronomie et vif intérêt pour l'architecture. Il est en admiration devant Rem Koolhaas qui lui conçoit une petite annexe à quelques mètres de l'adresse principale.
La cantine du midi m'était apparue plus calme.
Je reviendrai.

Nouvelles orientales


Dix petites nouvelles d'une beauté littéraire presque absolue. Tous les affres et la beauté de la condition humaine y figurent. Le triomphe de l'art avec "Comment Wang-Fô fut sauvé", la fureur de vivre avec "Le sourire de Marko", l'amour maternelle et la cruauté dans "Le lait de la mort", la douleur de l'amour oublié avec "Le dernier amour du Prince Genghi", la beauté fatale avec "L'homme qui a aimé les Néréides", l'amour tragique avec "La veuve Aphrodissia", la sagesse au bout de l'errance avec "Kali décapitée", ...
"Une pierre enfin se détacha sous son pied, tomba au fond du précipice comme pour lui montrer la route, et la veuve Aphrodissia plongea dans l'abîme et dans le soir, emportant avec elle la tête barbouillée de sang."

samedi 8 mai 2010

Fiction

"...imaginez, vous montez dans un vieux tram, vous êtes seul...(...) Laisser vous secouer par votre fantaisie. Allez au-delà de vos rêves. N'ayez pas peur. Vous ne savez pas où vous allez, c'est tant mieux, c'est la nuit, le ciel est plein d'étoiles, mais vous êtes sommés d'inventer un itinéraire et de donner à votre voyage un sens (...) C'est ains que naissent les histoires. Pas toutes, celles que j'aime écrire. Tahar Ben Jelloun. "Le Monde" date des 9 et 10 mai.

Le texte qui suit a été écrit avant de lire la chronique de TBJ. Coïncidence ?

Il est seul dans une grande ville de province qu'il ne connait pas, ou mal. La nuit s'est installée sur les bords du fleuve avec une aisance de propriétaire. Une nuit de gala avec des façades grands siècles, subtilement éclairées, dont les reflets sur la surface noire de l'eau inventent une autre ville. Il doit prendre un ticket de tramway. Pourquoi ces machines ne sont pas toutes les mêmes ? Il se dit : déjà, à mon âge, je ne sais plus prendre un billet de tram ! Il demande l'aide d'une ombre qui est à quelques mètres de lui. L'ombre est plongée dans la contemplation de l'écran de son téléphone. Mais elle s'approche et lui indique le mode d'emploi. Il remercie l'ombre. Elle retourne à sa contemplation. Il aimerait trouver un lieu agréable pour diner. L'ombre doit bien savoir.
"Pardon, s'il vous plait."
L'ombre relève la tête et sort de sa contemplation.
"Je ne connais pas cette ville, pas bien, pourriez-vous m'indiquer où je pourrai trouver un restaurant sympathique, style brasserie ; vous savez, la grande brasserie, celle que l'on retrouve dans chaque grande ville ?"
L'ombre s'approche du plan du tram et pointe du doigt une station.
"Vous descendez là et puis vous allez par là en remontant."
L'ombre sourit ; elle a des yeux, une bouche et des cheveux probablement châtains foncés. Elle est beaucoup plus jeune que lui.
"Là, vous allez trouver tout ce que vous voudrez,"
- Merci, vous êtes très gentille."
Le tram arrive. Il monte et il reste debout dans la voiture. Il cherche dans son IPhone "Stairway to Heaven" car il veut traverser le pont au-dessus du fleuve en écoutant "It makes me wonder". Les vitres du tram sont recouvertes de petites gouttes d'eau qui scintillent comme autant de paillettes de la ville inconnue. Le passage sur le pont est majestueux. La ville est tellement belle qu'elle semble imaginaire. Il se dit qu'il faut qu'il descende au prochain arrêt. Ce qu'il fait. Il marche quelques pas sur le quai. Il est rejoint par la jeune femme.
"Je vais vous accompagner. Cette ville est belle, je veux vous la montrer un peu."
Elle a un léger accent qui lui fait penser qu'elle doit être étrangère.
"Vous êtes très gentille. C'est formidable d'avoir un guide...un guide comme vous...une inconnue."
Il n'est pas troublé, mais il voudrait trouver les mots justes, à la hauteur de ce petit bonheur improvisé.

Elle lui montre des monuments, des places, en lui disant le nom de chaque lieu.
"Vous voyez, c'est la porte de l'ancienne ville. Là, les anciens hangars à épices. L'hôtel de ville."
Il s'arrête et admire à chaque fois les compositions architecturales du passé dont la mise en lumière souligne davantage encore l'harmonie parfaite.
"Je suis polonaise et je m'appelle G... ; et vous ?"
Il lui dit son nom. Ils arrivent dans les ruelles de la vieille ville.
"Si vous voulez dîner dans une brasserie, c'est par là. Si vous voulez aller dans un lieu très sympa que je connais, je peux vous y amener.
- Oui, bien sûr, c'est mieux dans un lieu sympa."
C'est un petit restaurant tout en longueur décoré de tableaux d'artistes accrochés au mur. Certains sont plutôt corrects ; c'est une bonne surprise. Au fond de la salle, un DJ ondule devant ses platines au rythme d'une musique techno. Le patron embrasse la jeune guide d'un soir. Ils s'installent tous les deux, face à face, sur des chaises hautes devant un bout de comptoir. D'autres jeunes passent et font la bise à la jeune femme. Ils lui glissent un petit mot amical en la prenant par les épaules. Elle rit à chaque fois. Et puis elle le regarde avec un regard qui semble dire : Qui es-tu ? J'ai l'impression de te connaître, mais je sais pourtant que je ne t'ai jamais vu.
"Vous voulez boire quelque chose ? Il n'y a pas de grands vins ici", dit-elle avec un léger regret dans la voix.
"Ce n'est pas grave."
La musique est forte. Il ne sait pas parler quand la musique est si forte. Elle porte des bottes noires avec des motifs en arabesque.
La musique est si forte - et peut-être qu'il est un peu sourd également - qu'elle doit se pencher vers lui et lui parler dans l'oreille.
"Lisez-vous ? Lis-tu ?"
- Oui, je suis entrain de lire ..."
Elle cherche le titre qu'elle ne retrouve pas. Elle cherche en regardant par delà les murs de la salle. Il l'observe. Il pense que c'est agréable d'être ici avec une inconnue. Il n'éprouve pas de désir pour elle, même pas un sentiment un peu paternel compte tenu de la différence d'âge. Non, il se rend compte que ce qu'il ressent c'est qu'ils sont à égalité. Deux êtres au hasard d'une rencontre dans une ville inconnue, de sexe différent, sans désir l'un pour l'autre, sont forcément à égalité.
Il commande un foie gras. Le patron arrive avec une bouteille de Rioja. Il remplit les deux verres. Ils trinquent en souriant. Quand elle sourit à nouveau avec cette curieuse expression dans le regard qui semble dire "je sais qui tu es, et toi, maintenant, me reconnais-tu ?", il est troublé. Il sait à présent qu'il a déjà vu cette jeune femme. Mais c'est impossible. Ils ont près de 25 ans de différence d'âge. Il n'a jamais connu de polonaise. Juste un couple de polonais qu'il avait pris en stop un dimanche soir en remontant sur Paris et qu'il avait hébergé chez lui.
Ils tentent, malgré la musique, de poursuivre une discussion sur les régions de France qu'elle connait, les pays d'Europe qu'elle a traversés, son petit ami qui l'a délaissé ce soir pour déguster "entre hommes" des cigares, la soirée de demain - une autre dégustation, de champagne cette fois -, et lui ce qu'il est ou n'est pas, ses points d'attache, sa femme, son fils unique - DJ à l'occasion-, un peu de sa profession, architecte. Elle doit toujours se pencher à son oreille pour lui parler. Il est gêné car il n'entend pas bien. Alors souvent il dit oui de la tête et il lui sourit. Parfois, il y a de longs moments de silence entre eux. Ou peut-être des moments de silence qui lui semblent longs. Elle le regarde. Toujours avec cette question. Il ne sait pas la regarder aussi bien. La porte du restaurant est restée ouverte et un souffle d'air frais glisse subitement. Il a un pressentiment. Et puis elle frissonne. Elle passe sa main dans ses cheveux. Alors, immédiatement, il sait. Il sait maintenant ; qui elle est et où il a déjà vu ce frisson et ce geste ; les mèches de cheveux qui glissent entre ses doigts.
Mais c'est impossible. Elle n'était pas née. Et puis elle ne connait pas la Bretagne. Celle du Nord. Une île. Elle ne peut pas être J... J. est morte à présent. Elle lui avait dit un matin en le quittant, sur le bord d'une route, il y a très longtemps.
"Je vais mourir ; nous ne nous verrons plus."
C'est impossible à dire à vingt ans. C'est impossible à entendre aussi. Elle avait eu ce frisson. Le vent semblait fuir dans ses cheveux. Sa main s'était portée à son visage et ses longs doigts avaient tenté de calmer les mèches indociles. L'une d'elles s'était coincée entre ses lèvres. Il se souvient, ce soir.

Il est maintenant au bord du fleuve. Il est sorti brusquement du petit restaurant en s'excusant. Devant lui, il y a cette masse noire qui ondule comme une immense bâche luisante. De l'autre côté, la berge est absente. C'est simple de mourir, pense-t-il. Mais tout semble si beau, si profond.

mardi 4 mai 2010

L'offense de Ricardo Menendez Salmon


Je crois me souvenir que j'ai acquis ce petit livre en suivant les conseils d'un ami dont j'apprecie les choix litteraires, avant d'avoir l'honneur de les partager. Il avait devore cette offense en 3 heures, avec la complicite d'un canape qui n'en demandait pas tant. J'ai fait l'exercice en deux etapes, mais mon plaisir rejoint le sien. Et pourtant il s'agit du recit d'une sorte de cauchemar. Je ne vais pas imiter l'indescence de l'editeur qui resume au dos l'integralite de l'histoire. Juste dire que l'ecriture est presque parfaite. C'est un roman historique qui ne se prend pas pour un roman historique. Il y a un regard ajuste sur les choses de la vie et cette troublante question du destin, et comment des vies simples peuvent etre embarquees aux frontieres du reel.

Desert de JMG Le Clezio


Je regrette sincerement d'avoir eprouve par endroit une vague sensation de lassitude en cheminant tout au long de ces 411 pages. Certaines me sont apparues longues et penibles a vaincre, un peu comme si j'accompagnais dans leur errance fatale ces tribus du desert lorsqu'elles gravissent les reliefs pierreux et surchauffes de leur interminable periple.
L'heroine, Lalla, fille d'un bidonville, emigree, refugiee dans la misere marseillaise et dont la beaute lui permet de conquerir la notoriete des couvertures des magazines, tout en etant enceinte d'un berger muet du desert qui sent un peu fort la sueur et le poil de chevres, mais qui reste son amour eternel, Lalla qui fuit cette vie facile et vient accoucher aggripper a un figuier immense au bord de la mer, a quelques centaines de metres de son bidonville originel ... Bon, on se dit que Le Clezio est un sacre veinard : capable de croire en tout ca et de le distiller avec une lenteur de contemplatif anemie. Qu'est ce que je suis dur ce soir avec cet ecrivain qui m'a enchante avec "L'africain" !...

dimanche 2 mai 2010

Footing et passion halieutique


A l'occasion de mon footing dominical, une rencontre inattendue avec une carpe de 10 kg pêchée dans la Seine, et son propriétaire provisoire qui relâcha le monstre pacifique dans les profondeurs glauques du fleuve.