mercredi 31 mars 2010

Pritzker Price 2010



Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, associés de l'agence SANAA, sont les Pritzker Price 2010 (équivalent du Prix Nobel d'architecture).
Je les avais annoncés probables lauréats l'an dernier (voir archives de ce blog du 15/04/09), mais (rappelez-vous !) j'avais commis l'imprudence de ne pas vérifier que Zumthor n'avait pas encore été "pritzkerisé".
Donc, logique. Les qualificatifs les plus utilisés pour qualifier leur œuvre : légèreté, opalescence et fluidité. Mais il n'y a pas à proprement parler "d'écriture" estampillée Sanaa. Le Louvre à Lens, le centre de recherche de Rolex à Lausanne, l'école de management à Essen, l'immeuble Christian Dior à Tokyo (vu de nos yeux vus !), sont autant de bâtiments d'une très grande singularité.

Bref : je trouve qu'ils sont vraiment très forts ! Et je vous prédis, ici, qu'on va les retrouver demain lauréat d'un très bel ensemble immobilier à Paris, le long de la Seine... Mais, chutt... confidentiel !

PS : j'ai envie de rendre aussi hommage à la modestie, à la sympathie et au professionnalisme ; à Michel Levi et Antoine Saubot, qui sont les architectes de réalisation du Louvre-Lens

Piano à Arc en Rêve (Bordeaux)


Doit-on être déçu par cette mini exposition pour un maxi architecte ? Un peu, si on la compare à l'exposition qui lui avait été consacrée à Beaubourg il y a quelques années (mais les surfaces n'étaient pas comparables). Scénographie timide aussi. Est-ce une volonté par opposition à la surenchère d'effets qui peut être la marque de notre époque ? Une volonté de ne montrer que l'essentiel ? Et la question est là : c'est quoi l'essentiel pour Piano ?
1) L'écoute des acteurs du projet ; ses commanditaires, les gens du lieu (admirables photos des villageois d'Otranto),

le dessin commenté par les intentions, les objectifs (les A4 épinglés qui traduisent l'élaboration du Monastère des Clarisses à Ronchamp). "Pour savoir construire, il faut savoir écouter." Mais l'écoute ne signifie pas l'obéissance. Curiosité, désobéissance et imprudence sont les vertus cardinales pour Piano.
2) L'ambivalence de la matière : vérité du matériau et détournement de son potentiel physique comme une déclinaison de la fonction "temps" (ancrage historique et modernité). Une des plus belles et plus simples phrases que j'ai pu retenir de Piano est : "La modernité a un coeur ancien."). "Mon père était capable de transformer la matière", dit-il également.

3) La "praxis" et seulement elle : Piano la réinterprète, comme une intimité entre la théorie et l'action, une continuité entre l'abstrait et le concret, le programme et l'usage ; on a envie de dire, que "praxis" pourrait être un autre mot pour signifier "architecture". Et ce lien entre l'idée et sa matérialisation, qu'il s'agisse d'un élément de la construction ou de la construction elle-même, c'est la technique. Piano est certainement l'architecte le plus ingénieur des grands architectes contemporains. Il fut d'ailleurs associé de longues années avec Peter Rice (à lire "Mémoire d'un ingénieur", obligatoirement).
La visite de l'agence de Piano, rue des Archives - dans l'ombre de Beaubourg - est un instant de bonheur (voir description déjà faite ici). J'imagine comment la culture de la chose construite peut s'instiller chez les architectes qui travaillent dans cet espace meublé de maquettes, d'échantillons de matériaux, de pièces moulées, etc.



L'œuvre de Piano démontre qu'il n'y a pas de "petits projets" ; pour peu qu'il y ait une sorte "d'âme" ou une grâce qui les porte. En 1977, Piano venait de devenir célèbre en livrant, avec son compère Rogers, le Centre Georges-Pompidou. Deux ans plus tard, on le retrouve concepteur d'un pavillon mobile en toile tendue et structure légère métallique de 4 à 5 m2 de surface pour la ville d'Otranto !

dimanche 28 mars 2010

Il n'y a pas que des cathédrales à Chartres !


Dans la série "Découverte des villes de province", après Grenoble où nous avions pu constater qu'il n'y avait pas que des noix, voici Chartres (où il n'y a pas que des glands !) !
Quand je pense à Chartres, c'est d'abord à mes amis que je pense. Ils se reconnaitront bien sûr s'ils s'égarent jusqu'à ce texte. Mais, longtemps, j'ai associé cette ville à ces hordes d'exaltés qui, bannières de la Vierge au vent, s'adonnent à la Pentecôte au célèbre pèlerinage à Chartres.
Je vais peut-être décevoir les inconditionnels de la Cathédrale Notre-Dame, mais la promenade dominicale ce matin, s'est engagée sur un ton moins conventionnel avec un arrêt devant la façade du cinéma "Les enfants du Paradis", relookée - avec respect - par l'architecte Rudy Ricciotti d'un moucharabieh en Bfup noir (Béton de fibres ultra performant) aux allures d'arabesques métalliques, dans lesquelles peuvent se deviner quelques silhouettes animalières.
Il n'est pas un cm2 de l'intérieur de l'église Saint-Aignan qui ne soit peint de motifs floraux, de lettres enlacées ou de drapés en trompe l'œil ; j'ai préféré m'attarder sur un vitrail évoquant Jésus chassant les marchands du temple (Jésus, si tu reviens, il y a encore du boulot !), et quelques carreaux oubliés, au sol d'une chapelle annexe.

Il ne devrait rien y avoir de plus banal qu'une poignée de porte rouge sur un portail bleu ; et pourtant ! Et pourtant, je vous laisse imaginer le petit jardinet digne du Facteur Cheval auquel cette porte donne accès. Il m'arrive très souvent lors de mes promenades, de tomber sur ce type d'espace naïf fait d'une accumulation invraisemblable d'objets hétéroclites placés au milieu de pots garnis de plantes aux couleurs vives. Évidemment, ces compositions prêtent à sourire. Quels sont les hommes et les femmes qui en sont les auteurs ? Probablement des gens sympathiques. Je veux le croire.

Une porte décatie, entre-ouverte sur un couloir sinistre, me laisse apercevoir un papier peint improvisé avec des vieilles coupures de journal. C'est ainsi que j'ai découvert qu'il existait les histoires du docteur Claudette (Cloclo, si tu m'entends ...).

Les saules pleureurs étaient parés d'un vert anisé. L'Eure coulait sans prétention, négligeant les lavoirs désertés. Une bruine légère enveloppait par instant les pavés épais de la rue et les parapets des ponts d'un indicible sfumato, donnant à la pierre une allure de tendresse.
Nous étions entre amis, et Chartres était complice !

jeudi 25 mars 2010

Maïcha, Collaro et Coco-girls



Maïcha, que je ne connais pas, a laissé un commentaire qui m'a fait marrer à propos de ma définition d'avocats dans le cadre du "Dictionnaire des idées reçues" ; "trop bien" ; elle doit être assez jeune : l'utilisation (l'abus !) de l'adverbe trop est caractéristique de la génération des moins de 30 ans, non ? Trop bien est vraisemblablement une traduction de "too much" dont les anglais, même moins jeunes, abusent également. Dans le "Collaro-Show" (désolé, mais il s'agit d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître !), les coco-girls scandaient à un rythme régulier un "ce type est too much, ce type est trop, trop, trop ... !" avec des voix et des mimiques d'hôtesses de salon de massage (je suppose !). A l'époque, nous n'avions pas saisi au vol cet adverbe pour parer nos adjectifs comme une belle barde un rôti de mon boucher (s'il savait qu'il est dans mon blog !).

dimanche 21 mars 2010

D'autres vies que la mienne


Quand on évoque ce livre d'Emmanuel Carrère, tiré d'une histoire vraie, souvent les mots qui viennent sont : "Ah oui, c'est ce livre sur ce type qui a vécu l'histoire du tsunami." Il s'agit du tsumani du 26 décembre 2004 qui a fait 280.000 morts, la plupart dans les pays de l'Océan Indien.

Bien sûr le livre commence par le récit de la mort d'une petite fille, Juliette, emportée par les vagues monstrueuses. L'auteur est proche de ses parents dont la douleur est immense. Lui-même s'interroge sur son couple, sur son indécision, sur cette forme de légèreté qui consiste à ne rien voir au-delà de soi. Le drame qu'il vient de vivre en tant qu'observateur, et la mort quelques mois plus tard de Juliette, la sœur de sa femme, vont déclencher en lui un changement profond : il va s'intéresser à d'autres vies que la sienne. A celle d'Etienne tout d'abord, l'ami, le confident de Juliette, atteint lui aussi par un cancer, dans sa jeunesse. Juge atypique, défenseur systématique des "petits", des floués par les banques et les assurances (voir sur le net l'interview d'Etienne). Mais surtout la vie de Juliette, personnage principal du récit.
Ce livre est écrit simplement, au plus près des entretiens que l'auteur a réalisés avec les différentes personnes qui lui ont parlé de Juliette et des derniers temps de sa maladie. Le style - sans pathos - traduit ainsi une certaine vérité qui correspond à la gravité de l'histoire.
La mort, la souffrance, le deuil, l'absence, la perte, toutes ces choses de la vie (des vies ordinaires) qui nous parlent de la mort sont écrites sans artifices, sans précautions, sans ce silence mensonger que la société veut imposer, dans une tentative absurde de conjuration de l'évidence.
Mais la réflexion qui accompagne ses situations douloureuses conduit l'auteur à aimer à nouveau, c'est à dire désirer un avenir partagé.
C'est un livre fort qui, en écrivant sur la Mort, nous parle de la Vie.

samedi 20 mars 2010

Ballade arachnéenne

"L'écrivain c'est un style et une vision du monde." Piquée dans un commentaire récent de Gérard à propos du livre de Patrick Modiano, je me pique - à mon tour - de rechercher l'auteur de cette formule. Un instant je m'empare de l'idée de disserter sur ce thème. Heureusement : la peur du ridicule qui me tient lieu de vertu m'en dissuade immédiatement. Une chose est certaine : une telle formule doit disposer de plusieurs quartiers de noblesse littéraire. Il est peu probable que son géniteur appartienne au clan des gondoliers du rayon livres des hypermarchés. Peut-être même qu'elle fut composée sous les voûtes baroques de l'Institut, dans la boîte crânienne chenue d'un immortel oublié, à quelques encablures de lieux propices à la méditation et à la vision du monde : les berges de la Seine, le Louvre, St Germain des Prés, ...
Face au vide sidéral de ma culture, j'appelle à la rescousse "Google". Forcément. Google est l'ultime recours ; la béquille toujours disponible (sauf panne de batterie ou d'électricité) de l'ignorant en quête de connaissances (savoir ? informations ?). Quel délice c'eut-été pour des Bouvard et Pécuchet que de disposer d'un tel outil d'investigation !
Je tape donc sur l'incontournable moteur de recherche "un style et une vision du monde". Et là, je deviens "promeneur de la toile". Cet article pour vous faire partager une déambulation printanière et arachnéenne évidemment.

Je tombe tout d'abord sur un premier site extrêmement savant qui m'affirme (chose que j'ignorais sans en mesurer les conséquences) que "le développement exponentiel des études simoniennes depuis une quinzaine d’années a eu un impact considérable sur le plan herméneutique". Après ce premier uppercut, l'auteur-boxeur décoche une salve de crochets dévastateurs : la "narratologie post-genettienne", "la théorie goodmanienne de l’exemplification", la "sémiotique de l’image", la "mythocritique", m'envoient dans les cordes et je suis compté une première fois par un arbitre impitoyable (mon égo).
Sauvé provisoirement par le gong (l'auteur reprend son souffle et se contente d'énoncer une série de noms associés à des dates), je sens que le prochain round me sera fatal. En effet, mon adversaire est d'une cruauté bestiale. Il récidive dans les coups dévastateurs. Le KO est imminent : "la métaphorisation des structures textuelles" me sonne une première fois, "les phénomènes d’imbrication isotopique" me mettent à nouveau un genou à terre, "la polyphonie bakhtinienne" et je suis compté jusqu'à 5, les «tropes implicitatifs» m'installe dans un KO irréversible.
Bon, tout ça pour parler du style de Claude Simon. Je vais jeter un œil suspicieux au seul ouvrage de cet auteur qui honore ma bibliothèque. Il va falloir que je me méfie de cet objet de papier. Je me félicite tout bas (ne pas le répéter) de ne pas y avoir pratiqué d'effraction prolongée. Et j'avoue devant le tribunal des gens savants que j'ai tenté 4 ou 5 fois sa lecture ; en vain.
Je poursuis mon évasion - non pas fiscale - mais googlesque. Et je tombe sur de la fraîcheur juvénile, un questionnement adolescent :
"Bonjour,
J'ai une recherche a rendre pour demain, portant sur Corneille .
Je dois trouver son style d'écriture et sa vision du monde .
J'ai cherché dans beaucoup de site et aucun ne parle de ceci .
J'ai juste trouver (sic) qu'il a donné naissance a un nouveau style de théâtre où les sentiments tragiques sont mis en scène .
Je ne sais pas si c'est juste !"
Mignon ! Mais je stoppe là les commentaires, car en ces périodes de MacCarthysme pédophile ...
Je rempile dans la prise de tête avec un site estampillé CNRS.

"Un monde et un style (Starosvetskie pomesciki de Gogol')
Auteur(s) / Author(s)
VIROLAJNEN M. ;
Résumé / Abstract"

Le conflit entre le monde décrit par G. (Gogol ? NDR) et sa propre vision du monde, est le conflit principal de cette nouvelle. (...) L'utilisation par G. d'un procédé "pictural" qui est celui de l'existence simultanée de divers éléments. Procédés utilisés par G. à la fin de la nouvelle, où dans le monde hermétique s'introduit une rupture qui provoque la mort."
Ouf !
Le chemin s'ouvre vers la peinture. Voici un artiste qui présente l'une de ses dernières œuvres : "Ma petite Geisha" Acrylique sur toile" 80x80 cm, avec le commentaire modeste : "Nouveau style de peinture, nouvelle vision sur le monde…"
L'inspiration est limpide : "Ce contraste entre la pureté, la beauté et la destruction, le chaos, la rouille et la crasse m'a toujours interressé." (sic). Convocation de Pollock et d'Andy Wharol à qui l'on ne demande pas leur avis. Le "Courbisme" comme nouvelle vision du monde. (La Geisha en question n'est pas vilaine d'ailleurs, mais elle inspire plus le dessin de BD que la référence aux œuvres du pape du Pop Art ou de Jack L'Egoutteur !).

J'achève mon périple arachnéen par un poète (forcément !), un dénommé Charles Vermont dont la devise, inspiré probablement de M. de Fursac, claque comme un étendard sous un vent de force 4 : "C'est le style qui fait l'homme".
Et j'ai envie d'ajouter (et ce sera mon dernier hommage, Gérard, je te le promets) : et "La femme est l'avenir de l'homme".

jeudi 18 mars 2010

Il n'y a pas que des noix à Grenoble !


La preuve : une vespasienne totalement "improbable" (adjectif en passe de détrôner "hallucinant"), hantée par les fantômes des croûtonnards, et une des trois tours à la plastique savante de Roger Anger, architecte des trente glorieuses, dont l'égarement à Auroville fut probablement fatal à sa postérité.

dimanche 14 mars 2010

samedi 13 mars 2010

Pédophilie et Tchernobyl


Il n'y a plus une semaine sans que le scandale de la pédophilie dans l'Eglise Catholique n'éclabousse l'actualité (USA, Irlande, Allemagne, Autrice, Suisse,...).
C'est d'une tristesse révoltante.
Alors, pour tenter l'humour, je livre à vos orbites (forcément) cruelles cette devinette :
Quel rapport entre la pédophilie et le nuage de Tchernobyl ?

Eloge de l'échec



Fin de ma "trilogie" sur "Litterature et architecture" avec ce dernier face à face à Chaillot entre un architecte - Jacques Ferrier - et un écrivain - Jean Rolin.
Rappel pour les profanes :
- Jacques Ferrier est né en 1959 à Limoux capitale de la fameuse blanquette ; non pas celle de ma petite sœur qu'elle réussit parfaitement et dont le pétillant reste - heureusement - du registre précieux de l'imaginaire (on est ici en famille dans le champignon de Paris, la sauce onctueuse à base de bouillon liée aux jaunes d'œuf et à la crème fraîche*, et les dés de veau dont le moelleux est assuré par le choix des pièces : ni trop petites, ni trop épaisses, mais surtout légèrement persillées de gras, afin d'éviter d'être sèches comme le cœur d'un huissier au matin du 16 mars) ; ingénieur centralien, puis architecte, salarié chez Foster puis chez Technip (il fut l'instigateur de cette diversification hasardeuse - quasi prolétarienne - qui a conduit le pape de l'ingénierie du gaz, du raffinage et autres délicatesses industrielles à créer dans les années 80 une ingénierie du bâtiment), Jacques créé son agence aux alentours des années 90 avec François Gruson. Expérience limitée dans le temps, mais qui leur fait partager le Prix de la 1ère œuvre pour les laboratoires de l'Ecole des Mines de Corbeil, où ils servent aux têtes ingénieuses une architecture fonctionnelle, dénuée de maniérisme, un écrin de tôle ondulée pour leurs recherches studieuses et savantes. L'ambitieux sudiste (toujours se méfier des sudistes !) décide de se lancer seul dans l'aventure architecturale. Régulièrement distingué (mais la 1ère marche du podium reste à conquérir !), sollicité aux quatre coins de la planète, disponible, l'architecte affairé (et non affairiste) aux allures de Dorian Gray, cache un appétit de conception que sa curiosité, son talent, sa capacité de travail et d'organisation légitiment pleinement. Auteur du prestigieux Pavillon de la France pour la prochaine exposition universelle à Shangaï, il est également le chantre "d'Hyper-Green", concept de tour durable dont la concrétisation se fait attendre (dommage). Jacques est également écrivain ; la preuve : ne lui laissez pas un paysage à portée de regard (même misérable, même et surtout en déshérence, et plutôt aperçu depuis la fenêtre d'un train), car il est bien capable de vous en extraire un élixir de poésie !
- Jean Rolin, que mon ignorance crasse m'a fait ignorer jusqu'à hier soir - bien que l'un de ses romans, "L'explosion de la durite", soit sur une étagère de ma bibliothèque, épargné à ce jour de toute "effraction" comme dirait Parent -, fut maoïste sans aimer Mao, lauréat du prix Médicis pour "l'Organisation", continue à se revendiquer "écriveur" plutôt qu'écrivain, humaniste possible mais surtout pas humanitaire, trafiquant mélancolique de voitures pourries à travers le continent noir, marin nostalgique et convaincu que toute entreprise humaine se solde par un échec (évènement inéluctable qui peut présenter de réelles vertus). Il peste également contre "le tourisme qui est parvenu à remplir le monde de choses laides, majoritairement". Quelles peuvent être nos points communs identifiables ? Boulogne-Billancourt (il y est né, j'y est vécu et nous l'avons tous les deux déserté), l'Afrique (à la différence que ma 404 était magnifique : robe bordeaux, toit ouvrant, intérieur cuir camel, ), la mer (il rêvait d'être marin, j'ai échappé à la Navale).

L'auditoire est aussi clairsemé que pour la séance précédente ; une excuse : nous sommes vendredi et c'est un week-end d'élections régionales !
"La beauté de l'architecture passe par un détournement de la chose utile." On est dans le noir. J'ai tenté de prendre à la volée ces paroles lues d'un texte de Jacques. Sont-elles exactes ? Probablement. En tout cas, je partage ce point de vue. C'est précisément dans cette proposition que passe le salut artistique de l'architecture. Détournement, ne signifie pas négation ; mais plutôt conquête. C'est l'au-delà de l'utilité assumée, imposée. L'utile est une fonction obligée de l'architecture. Avec elle, l'architecture s'empare de son statut "d'art humaniste".

Jean Rolin s'interroge sur le mystère de la disparition subite de lieux puissants - notamment des cités enrichies par l'industrie sidérurgique - devenues à présent des faubourgs misérables, des territoires dont les traces prestigieuses se lisent à peine ; et parfois comme une honte. Il y a chez l'ancien "mao" une interrogation toute politique. Qu'est-ce qui pousse l'Homme à bâtir et bannir successivement ? Sans doute quelque chose qui le dépasse. Un système qui s'emballe, dé-régulée, comme un train dont les freins ne répondent plus ; une algorithmie économique qui tachycardise ? Les chiens sont lâchés et la curée ne fait pas de quartier. Et puis, je m'interroge encore : qu'est-ce qui sauve une architecture de cette fatalité ? L'esprit probablement. La grâce ? Les Pyramides, le Parthénon, Versailles, la mosquée de Djenné, l'Empire State, le Taj Mahal, les cathédrales, Angkor,... tous unis, au-delà des époques et des distances. Qu'adviendra-t-il des objets bâtis du monde moderne ? Détiennent-ils ce fragment d'immortalité que l'on peut surnommer "civilisation" ?
Jacques conçoit (compose ?) à l'instar de Simenon ; il y a toujours 3 temps dans les histoires de l'inspecteur Maigret :
1) la découvert d'une ville, d'un milieu, de personnages ; et une première intuition
- ici je dois m'interrompre car j'apprends que Jean Ferrat - Jean Tenenbaum - vient de mourir ; et ça me fait un choc ; "La Montagne" est orpheline, "C'est beau la vie", "Que serai-je sans toi ?", "Potemkine", "Nuits et Brouillard" : ça vous fout pas la chair de poule ça ? Retour sur image, flash-back de près de 40 ans. Poussez-vous les jeunes, y a rien à voir pour vous ! Et puis j'apprends qu'il y a eu un petit Jean, dont le père est juif et meurt déporté à Auschwitz ; il n'a que 11 ans et il est sauvé par des communistes. Vais-je apporter ma voix au Front de Gauche ? Venez les enfants : y a à voir et à écouter ! -

2) et puis Maigret doute, c'est l'incertitude, l'engluement, le marasme, ... comme l'architecte : ça va pas fonctionner, le prix est exorbitant, le délai invraisemblable, ...
3) enfin tout se cristallise, le coupable est trouvé...le projet s'éclaire, apparait, s'impose.
"Quand on arrive en Afrique, tout échappe aux précisions", raconte l'écriveur. Euphémisme. Mais n'est-ce pas ce que j'aime de l'Afrique : cet espace-temps in-maîtrisable pour l'homme occidental, cette possibilité donnée à qui veut la saisir d'entrer dans une autre dimension ? Elémentaire, fondamentale, essentielle.
"Ce que l'homme peut faire de plus beau, c'est d'essayer de ne pas y arriver", ajoute Jean Rolin, citant un auteur victime de ma mémoire défaillante.
"La grande différence entre l'architecte et l'écrivain", répond Jacques, " c'est que le premier est condamné à réussir. Et cette exigence lui impose d'être optimiste."
"Un livre est en partie un échec. Quand il est achevé, l'auteur que je suis est insatisfait. Proust - l'immense Proust - sur son lit de mort, ne s'est-t-il pas dit qu'il aurait pu faire mieux ?"
L'échec comme école de l'humilité. Réhabilitation de l'échec dans une société qui sacralise le Prince Charmant - financier, trader, vedette sportive, stararchitecte ? - et qui condamne le crapaud - l'enseignant, le syndicaliste, le travailleur.
Finalement : confronter littérature et architecture permet d'aborder des rivages insoupçonnés...
* je tiens à remercier mon épouse (anonyme elle aussi) pour m'avoir évité le ridicule d'une recette erronée de la blanquette !

jeudi 11 mars 2010

Littérature et architecture


Après Parent, ce fut le tour de Paul Andreu, "l'architecte des aérogares", de s'exercer à débattre des relations entre littérature et architecture. Tout ça se passe dans le grand amphi de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine. Nous sommes une trentaine à tout casser. Il y a quelque chose de triste dans cet alignement de fauteuils vides. Face à Andreu : Cécile Guilbert dont la voix grave avec une pointe de rauque ne colle pas à la silhouette ; celle d'une longue femme brune (une autre).
"Le mot littérature ne s'oppose pas à la science, mais à l'ignorance", dit-elle.

"Un architecte est forcément quelqu'un qui va chercher dans la littérature, non pas une solution à ses problèmes, mais une espèce de vérité qui est celle des mots, une émotion dont il a besoin pour faire son travail d'architectes", lui répond l'X-Ponts-Archi.
L'écrivaine parle de son rapport à la ville ; des sensations qui naissent lors de ses flâneries, de son refus d'analyser l'architecture. Mais aussi de ce plaisir que lui procure l'ascension des escaliers mécaniques de Beaubourg qui vous hissent au-dessus de la ville afin que vous deviniez dans ce paysage nouveau - comme dans un jeu -, les bâtiments célèbres, les repères de la cité. Et puis aussi revenir sur les mêmes parcours, suivre les traces invisibles de ses précédents détours. "A chaque fois qu'on relie Proust, on ne sautera pas les mêmes passages", dit-elle, amusée, en citant Barthes.
Mais l'échange se perd dans une confusion molle, sans peut-être un souffle d'insolence qui sauverait une préparation d'amateur.
Je quitte la salle, additionnant un siège vide supplémentaire à la collection des sièges vides.
Pourquoi est-il si difficile d'échanger par la parole sur la Littérature et l'Architecture ? Ce n'est pas la 1ère fois que j'assiste à ce type de tentative ; déception fréquente. Alors qu'il existe des textes magnifiques écrits par des architectes sur le monde qui les entoure, et des textes tout aussi remarquables écrits par des écrivains sur l'architecture. Peut-être est-ce parce que "l'architecture est la musique du silence" ? Peut-être est-ce parce que les écrits sont une forme de parole silencieuse ? Il est possible que le lien que l'on veut instaurer entre Littérature et Architecture, ne peut être fait que du seul matériau "silence".
A propos de textes parlant de l'architecture, j'ai découvert ce matin celui que Maryline Desbiolles a écrit pour le livre sur le Tramway de Nice de Marc Barani. Le bonheur, simplement.

lundi 8 mars 2010

Rencontre avec un croisé "pétochard"


"J'entre en croisade tout le temps. Dès qu'il y a un combat, il faut que je sois armé. (...) J'écris sous impulsion. je ne suis pas un vrai architecte. j'écris, mais je ne suis pas écrivain. Heureusement que cette situation va bientôt se terminer !"
Vous avez sans doute reconnu l'auteur de ces paroles. Non ? Alors, je continue.
"J'aurais aimé écrire un roman policier. Mais c'est pas mon truc. Très imaginaire. La violence ; il faut que ça soit porteur de violence."
Est-ce plus limpide ? Toujours pas ?
"Malgré mes tendances, quand je pense à l'architecture et que j'écris sur l'architecture, je me dis toujours que la propriété du sol est une abomination. Tant qu'on aura pas trouvé le moyen de se libérer de ça, les architectes se tueront et ne trouveront pas la solution à la ville."

Pas facile ? On poursuit.
"Le lecteur entre dans un livre par effraction. L'effraction est un acte sacré. C'est le dernier acte sacré de l'homme contemporain. Internet est une agression ; le contraire d'un acte sacré."
Vous en redemandez ?
"Faire entrer l'horizon dans la ville. Ça ne veut rien dire, mais c'est très beau."
Vous n'avez pas trouvé ?
Et si je vous dis que ce Monsieur se qualifie de "pétochard", que Julien Gracq est son maître à penser et qu'il place "Le rivage des Syrtes" au sommet de la littérature (comme moi)...
Je ne vous en dirai pas plus ! Juste quelques indices avec les photos.

dimanche 7 mars 2010

José Saramago


"Le cahier", qui reprend les textes parus sur le blog du Prix Nobel de Littérature 1998, le portugais, José Saramago, entre mars 2008 et mars 2009, entre dans la catégorie des livres dont la lecture est un bonheur. Ce Monsieur d'à peine 88 ans nous donne à espérer à chaque ligne : à un âge où la tentation de la résignation est courante, voilà un jeune homme encore révolté contre l'injustice (économique, contre les femmes, contre les palestiniens, ...), qui croit naïvement en la bonté, l'espoir, la solidarité ou la tolérance, et parvient à nous convaincre qu'il est possible de vieillir tout en conservant intacte les attributs mentaux de la jeunesse - et en particulier l'utopie et l'enthousiasme ! En cela, il n'y a pas d'hérésie.
"Si tu peux regarder, vois
Si tu peux voir, observe."

VitraHaus


La dernière œuvre des architectes Herzog et de Meuron sur le "campus" de Vitra à Bâle est d'une beauté rare ; peut-être parce qu'elle parvient à conjuguer avec magie des oppositions concrètes et mentales : le blanc et le noir, le vernaculaire et la modernité, l'élémentaire et l'assemblage, le terrien et l'aérien, la raison et l'absurde, l'équilibre et le déséquilibre, l'évidence et la complexité ?
Mystère de l'intelligence.
Il est très probable que dans un proche avenir, on voit fleurir des projets semblables, basés sur le principe d'empilements de volumes décalées multipliant les porte-à-faux.
S'agira-t-il de la nouvelle "tendance" architecturale après l'origami ?

Domicile adoré

Juste un mot à l'attention de nos deux amis qui nous ont reçus hier soir (qui se reconnaîtront si d'aventures ils s'égarent sur ce blog comme ils en avaient manifesté l'envie brûlante...), victimes du bricolage dans lequel semble se complaire l'artisanat du bâtiment, à l'occasion de la rénovation d'une très ancienne maison (1750 ?) dont ils ont fait leur habitation principale.
Les espaces sont superbes ; ils sont propices à l'amitié. La maison a déjà une âme : la leur. Tout n'est pas encore parachevé, qu'importe ; une maison n'est-elle pas un peu comme une vie ? Le temps doit y réaliser son accomplissement.

samedi 6 mars 2010

Bécasse


Il y a une chose extraordinaire dans les nouveaux outils de communication, c'est qu'il est possible désormais, non seulement de consulter le monde entier depuis un appareil de quelques cm2, mais aussi d'exposer aux yeux du même monde, depuis n'importe quel lieu de la planète (par exemple, en ce moment précis depuis le comptoir de chez Fauchon, Place de la Madeleine), tout ce qui peut vous passer par l'esprit.
Revenons a la bécasse. Aujourd'hui est un jour particulier : j'ai gouté à ma 1ère bécasse. Dire qu'il m'a fallu attendre 53 ans pour assouvir ce désir impérieux serait sans doute exagéré, mais, voilà, on peut s'en faire une petite satisfaction personnelle quand même !

Je ne conseille pas immédiatement ce plat aux palais délicats qu'une andouillette de Chez Duval peut rebuter. Si, comme chacun sait, une bonne andouillette se doit de sentir un peu la m..., la bécasse, rôtie sans être vidée (impératif !), accompagnée de toasts tartinés d'un mélange confectionné à partir de ses entrailles, du jus de cuisson et d'un peu de fois gras (les fameux "rôtis"), dégage un fumet capable de détériorer définitivement vos relations de voisinage. Il faut savoir courir certains risques pour atteindre à la volupté !
Il est fortement conseillé de servir un vin puissant avec cette princesse à plumes. J'ai choisi un Pommard 98 de chez Bouchard ; imparable, irréfutable.

Cadavre exquis (avant consommation).