dimanche 28 juin 2009

Le grand paradoxe

Lu dans Le monde daté des 28 et 29 juin, la chronique d'Hervé Kempf qui dit en substance que, face à l'obligation qui va s'imposer à nous (peuples des pays riches) de réduire "drastiquement" notre train de vie sous peine d'emmener la planète (et nous avec*, on l'oublie !) à sa perte, nous pourrions bien prendre modèle sur les peuples pauvres d'Afrique, rompus à l'exercice de l'indigence et de la frugalité. Peuples qui possèderaient, par une habitude forcée, une capacité de "résilience" plus forte aux "tourments à venir" que les "sociétés riches". Car, ajoute l'auteur, "Pour y parvenir (ceux du Nord), ils doivent se déconditionner, se désaliéner de l'idéologie consommatoire, selon laquelle plus est mieux." Et d'ajouter : "Le débat ici n'est pas que la simplicité soit subie ou choisie ; l'important est qu'elle forme le fond de sa vie et de sa culture (à l'Occident)."
Bon, quand est-ce qu'on y retourne au Mali ?
* même les pilotes de 4x4 !

Le temps des cerises



Hier après-midi récolte de cerises sauvages dans l'Yonne. Un pur moment de bonheur : soleil à tous les étages, branches ployant sous le fardeau d'une multitude de perles rouges, champ de seigle aux épis murs, presque craquants, roucoulement des tourterelles observant le prédateur, ... et 3 kg de cerises au fond de la bassine qui s'offrent comme un don de la nature pour les confitures de l'automne ! Quelle merveille la nature ! Protégeons-la bordel de merde !

vendredi 26 juin 2009

Epitaphe

"Il faut partir maintenant que je pourrai vivre tranquille ! Quitter mon art maintenant que n'étant plus esclave de la mode, n'étant plus enchaîné par des spéculateurs, je pourrais suivre les impulsions de mes inspirations, et écrire avec indépendance ce que me dicte mon coeur."
Dernières paroles de Mozart que je graverais volontier sur ma pierre tombale si je ne redoutais que l'un quelconque des passants égarés dans mon cimetière marin cède à la facilité d'imaginer un instant que j'ai pu me comparer une seule seconde à ce génie.

lundi 22 juin 2009

Le nouveau quartier du Plessis-Robinson ou la ville lobotomisée

"Lobotomiser : Opération de neurochirurgie visant à sectionner de la substance blanche d'un lobe cérébral entrainant la destruction de circuit de neurones."
Il faut visiter le nouveau quartier d'habitation du Plessis-Robinson pour au moins 2 raisons : la 1ère c'est qu'il n'existe pas en France, à ma connaissance, d'exemple comparable d'un tel urbanisme et ce n'est pas un défaut d'être curieux ; la seconde c'est que cette visite permet d'opérer une réflexion sur le sens de l'architecture.
Le quartier en question comprend 1380 logements bâtis dans un patchwork de styles "néo quelque chose", pastichant les habitats urbains du 19ème siècle (principalement). Le tout est fort bien construit. Les matériaux semblent être de qualité et leur mise en oeuvre également ; on verra quand même à l'usage mais, pour être honnête, il existe ailleurs un grand nombre de constructions de style contemporain plus mal finies et susceptibles de supporter moins bien les outrages du temps !
Tout le vocabulaire d'une architecture vernaculaire urbaine du 19ème figure comme sur un catalogue : pilastres, fenêtres mansardées, chiens-assis, clochetons, kiosques à musique, toits en pentes ardoisés cotoyant une couverture en tuile, porches en arcs plein-cintre, appareillages classiques, tourelles d'angle, consoles en fer forgé, etc. Au milieu de ce décor serpente une fausse rivière sur laquelle flottent, immobiles et inutiles, de fausses-vraies barques (mais il y a de vraies grenouilles !). Quelques passerelles enjambent ces eaux artificielles dont le courant est animé par des pompes invisibles. Les berges fabriquées ont été assez joliment agrémentées d'un projet paysager de qualité. Au détour d'un chemin en béton désactivé (seule concession à la modernité ?), on entre dans un échantillon de "béguinage" fait de gentilles maisons de ville aux volets colorés, dotées de jardins minuscules parfaitement entretenus et disciplinés où toute variante au cahier des charges imposé (mais sans doute librement accepté) est à l'évidence exclue. Tout est propre, tout est calme. Il n'y a pas un cri d'enfant. Pas un banc pour des vieux. Tout est organisé dans une sorte de mise en scène de l'Ennui.
S'agit-il d'architecture ? De mon point de vue, certainement pas.
D'abord l'architecture suppose la création. Et faire acte de création s'oppose à ce travail de reproduction, de combinaison de fraction de styles, de juxtaposition de fragments d'images du passé, de bricolage de clichés.
L'architecture n'existe pas dans la négation du contexte. Et ce décor va encore plus loin car il commet le déni de contexte. Il n'a besoin de rien ; il se construit ex nihilo. On est en studio. On est bien dans le décor et non dans l'architecture. On est au point le plus haut de la ville et une rivière coule comme dans un talweg !
Enfin l'architecture doit apporter une émotion. Et là on est dans le "pittoresque", le "charmant", paradoxalement dans le normatif (il ne suffit pas d'organiser les décrochements et une pseudo variété de façades pour être dans la liberté) ; on est dans l'aseptisé, le terrorisme du goût commun, la mise en scène du vide, la ville lobotomisée !
Que manque-t-il ? Une sonorisation avec le chant des cigales (même en hiver, c'est plus sympa que le cri des corneilles). Des portiques de sécurité. Un immense vélum peint en bleu avec un faux soleil qui brille en permanence. Des milices qui patrouillent.
Cette parade affligeante symbolise ce que la société actuelle nous livre de plus médiocre : l'illusion de l'authentique et du "varié" alors que le pittoresque et le conformisme règnent en maître absolu, une absence définitive d'intelligence ; l'architecture-réalité comme la télé-réalité !

mardi 9 juin 2009

A un poète mineur de 1899 de Jorge Luis borges



Ce matin, au saut du lit, je découvre ce poème que je trouve très beau ; alors, ce soir, j'ai envie de le mettre ici, rien que pour vous et moi...





"La tristesse qui guette à l'heure où le jour fuit
Te demandait un vers. Tu voulus d'une lente
Ligne lier ton nom à la date dolente
Où l'or va se mêlant à l'imprécise nuit.
Dans la lueur qui se soumet et qui s'échange
De quel amour tu dus polir l'étrange vers
Qui, jusqu'à la dispersion de l'univers,
Saurait seul confirmer l'heure d'azur étrange !
Y parvins-tu jamais ? De toi, mon vague aimé,
Que savoir et que dire ? Es-tu mort ? Es-tu né ?
Mais je veux que l'oubli rende à ma solitude
L'ombre légère de la vie, et ton espoir,
Embué par le mien d'un peu de lassitude,
Qu'en quelques mots humains puisse tenir le soir."

dimanche 7 juin 2009

Couvent des Récollets

Dans le cadre de la manifestation "Paris en toutes lettres", je me rends au Couvent des Récollets près de la gare de l'Est, magnifique exemple d'architecture religieuse des 17ème et 18ème, qui accueille depuis sa rénovation en 2003 la Maison des architectes d'Ile de France. Et cet après-midi, 8 juin 2009, plusieurs rencontres sont programmées avec des écrivains. J'ai choisi celle sur le thème "La littérature de l'hospitalité" avec Amin Maalouf, Neil Bissodatt, Abdelkader Djemel et surtout Duong Thu Huong. J'avoue que je viens plutôt pour elle dont je viens de terminer son 1er roman "Itinéraire d'enfance", présenté à la "Première" du Square Littéraire hier soir.
La rencontre-débat se déroule dans une très belle salle à la voute basilicale (si je ne me trompe) dont la charpente en bois, avec ses arcs plein-cintre, est d'une très grande beauté. Je prends place au premier rang, juste devant la longue table qui va recevoir dans quelques instants les quatre écrivains. Derrière la table, il y a un mur immense, dont la surface est comme un palimpseste écorché sur lequel on devine quelques traces timides de domesticité qui paraissent bien sages par rapport aux multiples zébrures, arrachements, délitements qui composent l'essentiel d'un tableau d'une force primitive. L'éclairage qui est assez tamisé apporte un supplément d'inquiétude à cette oeuvre improvisée.

Les quatre écrivains prennent place. Un animateur italien avec une pointe d'accent dans le bavardage présente chaque intervenant puis procède à leur questionnement. C'est Maalouf qui fait l'entame. Duong Thu Huong a un très beau visage emprunt d'une gravité un peu triste. Elle écoute en plissant les cils fréquemment. Elle se retourne et observe le mur derrière elle. Partage-t-elle mes impressions ? Se dit-elle que cette surface est sinistre - quand je lui trouve une certaine beauté ? Ces cicatrices sur la pierre partiellement enduite lui rappellent-elle les murs des prisons vietnamiennes dans lesquelles elle fut enfermée plusieurs mois. J'avoue ne pas avoir retenu grand chose de l'intervention de Maalouf. Il a affirmé ne pas aimer le mot "racines". Pour un écrivain, ce qui est important c'est les routes qu'il prend, dit-il. Puis l'animateur italien interroge Neil Bissodatt, écrivain canadien d'origine jamaïcaine. Il est professeur à Montréal. Il s'exprime en français avec une sympathique pointe d'accent québécois. Il a choisi de quitter la Jamaïque à 18 ans. Ses parents, aisés, lui avaient permis de voyager à travers le monde. A la lisière du monde adulte, cette île des Caraïbes lui ait apparu trop petite. Il écrit ses romans en anglais car tous les personnages dont ils s'inspirent sont des gens qu'il croise et qui vivent en anglais.

Puis vient le tour de Duong Thu Huong. Elle commence par s'excuser de son français "minable" (elle utilisera à plusieurs reprise ce qualificatif). Elle a une voix d'adolescente. Elle se considère comme une "combattante". Elle raconte comment elle a appris le français. Quand elle fut emprisonnée, on lui autorisa d'avoir avec elle un seul livre : soit un livre de pharmacie, soit un dictionnaire franco-vitenamien. Elle choisit le second. Elle parle de son adolescence de jeune fille issue d'un milieu non privilégié (traduire : non communiste de la Nomenklatura) pour lequel l'accès à la littérature était extrêmement limité. Outre les livres d'auteurs russes, quelques classiques de la littérature française trainaient sur une étagère dans un coin de la salle de classe, recouverts d'une méchante couverture en papier bleu clair : "Les Misérables", "Eugénie Grandet", ... Elle nous dit en riant que "Espèce de Grandet" est une insulte en vietnamien ! Apprendre le français fut pour elle l'occasion de s'ouvrir sur l'univers. Elle parle de notre pays qui est très beau, très calme, où chaque ville se vante de ses bons petits plats. Elle déteste seulement Marseille où, à peine arrivée, elle se fait braquer dans une voiture et voler tous ses papiers. Depuis elle est une "sans-papier". "Pour moi, être ici en France, est la seule solution pour vivre de la littérature." A la question de la possibilité d'écrire sur la France et plus sur le Vietnam, Duong Thu Huong semble dire que les plaies sont encore trop vives, que l'écrivain est un être de mémoire, et sa mémoire est à l'évidence là-bas. D'autres phrases sont dites par d'autres intervenants : "Tous les êtres autour de moi sont clairs, et il n'y a que moi qui suis flou" ; "Toute personne a légitimité à parler de tout ce qui est humain." A la question d'un personne de la salle demandant si chaque écrivain pouvait citer une anecdote illustrant la question de l'hospitalité, seul Neil Bissodatt parle du jour de son arrivée au Canada où, complètement perdu, il demande à un "business man" de lui indiquer une adresse, et que cet homme prend tout son temps pour l'amener exactement à l'adresse en question. Maalouf dit en avoir plein, mais n'en trouve pas une sur l'instant. Duong Thu Huong se retranche derrière son français "trop minable". Et Abdelkader Djemel n'en a visiblement pas considérant sans doute, comme il le dit, "Que sur les 100 km qu'il y a à faire entre moi et vous, j'en ai fait 98, et vous n'êtes pas capable d'en faire 2 !". Un peu vrai peut être. Dommage !

Je ne sais pas, je ne suis pas

Je ne sais pas écrire car il faudrait accepter de souffrir.
Je ne suis pas un poète car il faudrait avoir du talent.
Je ne sais pas chanter car seuls les enfants chantent.
Je ne suis pas quelqu'un de célèbre car je n'ai rien à célébrer.
Je ne sais pas compter car je redouterais de finir comptable.
Je ne suis pas un chef car j'ai trop subi l'absurde du commandement.
Je ne sais pas dire la vérité car je crois qu'elle n'existe pas.
Je ne suis pas un menteur non plus ; c'est ma grand-mère qui disait ça.
Je ne sais pas être sérieux car je redoute de me prendre au sérieux.
Je ne suis pas savant car il faudrait tenter de l'être.
Je ne sais pas vieillir car je refuse d'apprendre.
Je ne suis pas révolutionnaire car je ne sais pas haïr.
Je ne sais pas faire la guerre car j'aurais certainement peur.
Je ne suis pas un aventurier car je n'en ai pas la raison.
Je ne sais pas dire non car j'aime tant qu'on me dise oui.
Je ne suis pas à plaindre car ce serait indécent.
Je ne sais pas voler car je ne suis pas un oiseau.
Je ne suis pas mystique car je ne veux pas prier.

Je sais juste pleurer et rire ; aimer aussi.

Cadel Ubbale

jeudi 4 juin 2009

Le plateau du Kirchberg au Luxembourg : un paradis (fiscal) architectural ?


Le plateau du Kirchberg est une zone d’environ 360 ha situé au Nord-Ouest du centre ville de Luxembourg. Son urbanisation dans les années 60 s’est effectuée principalement via l’édification de plusieurs bâtiments destinés à accueillir les services des institutions européennes.
Puis dans les années 80, vinrent des établissements financiers, et plus récemment ce quartier d’affaires s’est enfin ouvert à l’art et la culture avec la construction de la Philharmonie de Christian de Portzamparc, et le Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean de l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei (le même que la Pyramide du Louvre, béotiens !).
Aujourd’hui, le site ne cesse d’accueillir de nouveaux bâtiments emblématiques, construits parfois sur les ruines de leurs prédécesseurs, comme la nouvelle Cour de Justice Européenne de Dominique Perrault. Ce dernier, auteur de la très controversée Bibliothèque de France, a connu après ce succès de jeunesse une certaine désaffection de la part de la commande hexagonale. Mais de cet exil forcé, Dominique Perrault ne semble pas trop avoir souffert, car il lui a été donné de concevoir et de réaliser, loin de son Auvergne natale, de nombreux bâtiments prestigieux comme la piscine et le vélodrome olympique de Berlin, une université en Corée du Sud, des hôtels en Espagne et en Italie, ou le pendant de Roland Garros à Madrid.
Avec la Cour Européenne de Justice du Luxembourg, inaugurée en décembre 2008, Perrault signe un véritable manifeste que l’on serait tenté de qualifier davantage de « plastique » que d’architectural, si l’ensemble de plus de 150.000 m2 n’était pas en définitive conçu pour abriter une population d’environ 2.000 fonctionnaires. Manifeste décliné jusqu'au dessin du mobilier et des moindres accessoires ; Perrault est le seul architecte, je crois, à réussir à s'imposer sur le "total look".
On retrouve, dans la composition de ce nouvel ensemble édifié en lieu et place d’un bâtiment des années 70, une très grande rigueur géométrique - un parallélépipède enfermé dans un rectangle épais - amplifiée par le choix d’une palette chromatique réduite à ce que l’on pourrait qualifier d’« ultra-noir », par analogie aux toiles abstraites de Soulages ; encore que cet « ultra-noir-la », contrairement à celui du peintre, ne concède aucune fantaisie, aucun reflet, tant sa teinte et sa matière sont d’un mat absolu.
Abstraction et sacré – il y a un peu de la Kaaba dans le bâtiment central - dialoguent dans une sorte de quête de l’essentiel juste trahie, de mon point de vue, par certains éléments de décor comme le couronnement périmétrique en plaques de verre fumé, ou les accessoires baroques des sas de communication aux salles d’audience.
En opposition à cette composition horizontale de plus de 600 m de long, Perrault a érigé deux tours jumelles de bureaux pour les traducteurs dont l’élancement est impeccable, et dont les façades, enrichies d’une tôle perforée, pliée et teintée bronze-doré, miment l’aléatoire et, au soleil couchant, s’inspirent des tourments du roi Midas.

En pénétrant par l’entrée des visiteurs – presque invisible comme souvent chez Perrault – on accède immédiatement après, à un vaste espace où le noir (encore)règne sans partage ; sorte de salle des pas perdus inquiétante, bridée de structures métalliques dont l’assemblage revendique le vocabulaire d'une ingénierie sans inspiration, où les ventilateurs de désenfumage sont mis en scène comme dans un décor de film de fiction des années 60. Au plafond, des cages grillagées pour l’insonorisation de l’espace, noires ; au sol un béton ciré, encore noir ; juste au-dessus de nos têtes, un luminaire immense – œuvre de l’architecte - en forme de spirale aux allures de ressort mécanique d’une montre gigantesque.

Cet espace, voué à des expositions, offre une perspective en contrebas sur ce que l'on devine devoir être « le clou du spectacle » : la grande salle d’audience et surtout son baldaquin de toile tissée métallique dorée – un matériau fétiche chez Perrault depuis la Très Grande Bibliothèque – qui se déploie avec une certaine solennité baroque dans le vide au-dessus de l’assistance.

Dans la « gestion » des grands espaces, on sent que la main de Dominique Perrault ne tremble pas. Il y aurait même chez lui comme une certaine jubilation à traiter de ces échelles architecturales monumentales.

Mais mon regard a été admiratif pour deux « détails » en particulier : un escalier qui se déploie dans l’espace comme un coquillage, juste guidé par deux tôles d’acier à la manière d’une sculpture de Serra ; les petites passerelles de liaison en verre entre le cœur du dispositif et le péristyle de bureaux qui sont des petits bijoux de précision et de légèreté.


A quelques centaines de mètres de la Cour de Justice, la Philharmonie, qui date de 2005, invite à une promenade dans un univers totalement opposé, construit sur la courbe et la lumière, les couleurs et la profusion d’espaces singuliers.
Vu de l’extérieur la Philharmonie se présente comme un bâtiment sensiblement elliptique, d'un blanc absolu, d’une grande légèreté avec ce déroulé de poteaux très fins qui peut évoquer, sans que la métaphore soit gênante, une harpe monumentale.
Le bâtiment est presque un manifeste également ; on peut y retrouver tout le vocabulaire de Christian de Portzamparc : la rue intérieure comme pratiquée déjà à la Cité de la Musique de la Porte de Pantin, le dessin parfait d’une coursive en béton, la multiplication des intersections complexes de volumes coniques, les couleurs pastel, un souci affirmé de l'esthétisme, ...

On est, là encore, admiratif du talent de certains grands architectes à imaginer, puis maîtriser l'échelle d'espaces aussi complexes.
La salle de concert, dont la réputation acoustique attire aujourd’hui les plus grandes formations mondiales, a des allures de morceaux de ville, avec ses éléments verticaux dessinés comme les façades d’une cour urbaine, munies de loges pareilles à des balcons de maisons particulières.
La seconde salle, celle de la musique de chambre, plus petite, est d’une élégance de courtisane. On y accède par le haut, par une rampe un peu lascive qui glisse dans l’espace comme la traine d’une cantatrice. Christian de Portzamparc a exploré une nouvelle fois les ressources secrètes du ruban de Moebius, dont la surface courbe non focalisante est un accessoire énigmatique à la composition d’espaces musicaux.

Mais il y a aussi quelque chose de mystique dans la conjugaison des formes et des couleurs ; la musique est ici servie par un espace et des matériaux – le bois en particulier - qui lui offre à l’évidence une spiritualité supplémentaire.
Pour évoquer son travail sur les espaces voués à la musique, l’architecte a ces mots : « J’aime concevoir des formes architecturales pour la musique. L’écoute et le regard, deux royaumes de perception y dialoguent et se répondent librement. C’est une grâce de l’espace. L’émotion musicale, c’est la découverte et l’entrée progressive dans un monde autre qui se déploie dans la durée. »

Perrault travaille dans le sériel et une certaine dureté mécanique ; Portzamparc dans la variation et la douceur organique. C’est étonnant de voir successivement l’expression de styles aussi opposés. A l’évidence, l’émotion ne relève d’aucun commandement, d’aucune disposition règlementaire ; elle le fruit du seul talent.

Article à paraître dans la revue "L'Ingénieur Constructeur", N° de jullet ou septembre 2009

lundi 1 juin 2009

Un cimier Bambara en Seine


Une histoire insolite, mais vraie, que j'ai un plaisir non dissimulé à vous conter.
Ca commence par une histoire de jogging sur l'île de la Jatte (l'ex domaine de Sarko). Je viens d'en accomplir un tour complet en petites foulées décontractées et je m'apprête à réaliser quelques étirements sur la petite place qui se situe côté aval de l'ïle, sous le Pont de Levallois, face au bras mort de la Seine. Alors que j'entreprends mes exercices, mon regard se porte sur un objet flottant à quelques encâblures de la berge ; laquelle est inacessible à cet endroit, l'eau croupie vient caresser un perré tristement minéral et accessoirement très pentu. Mon oeil averti de grand collectionneur d'art africain me fait reconnaître, dans ce qui aurait pu être un OFNI pour un béotien qui n'a pas fait les colonies, un cimier antilope bambara de la région de Ségou ! (Je dois avouer que je triche un peu, car je n'ai parfaitement identifié l'objet que bien plus tard, après de laborieuses consultations d'internet et autres ouvrages du musée Dapper). Le courant est à cet endroit quasiment nul, heureusement. Je me mets séance tenante en piste pour trouver un bambou ou une branche suffisamment grande pour attraper ce que je considère être un véritable trésor. Muni d'une perche de bonne dimension j'entreprends la descente en rappel du pérré, m'agrippant aux branches d'un arbuste maigrichon qui a eu la bonne idée de germer à cet endroit improbable. C'est donc avec une main sur l'arbuste et une autre agitant ma perche que je prétends faire revenir vers la berge l'objet qui est devenu en l'espace de quelques minutes celui de mes plus intenses convoitises. Peine perdue : il me manque 2 bons mètres. J'invoque alors le dieu de l'aviron (il passe régulièrement des rameurs qui font le tour de l'ïle), lequel est moins sourd que le dieu normal à l'évidence, puisque moins d'une minute après mes imprécations, rameur fait son apparition sur le théätre des opérations. Je le hêle et, un peu surpris mais discipliné, il stoppe son cigare flottant pour bien comprendre les instructions que je m'apprête à lui donner. Je digresse : c'est assez étonnant la gentillesse des gens ; surtout des rameurs. C'est quand même une activité ingrate et on pourrait imaginer avoir à faire à des êtres aigris ; pas du tout : bien qu'à l'évidence l'homme en question ne soit pas une de nos meilleures chances de médaille dans la discipline de l'aviron individuel, il parvient après quelques manoeuvres disgracieuses à s'approcher de l'objet d'art flottant.
"Prenez-le et lancez- le moi, lui dis-je".
" Ah non, je vais tomber à l'eau", me répond-il.
"Bon, alors essayez de le pousser vers moi".
Finalement le rameur se saisit du cimier et le lance un peu de côté vers la berge. C'est pas merveilleux, mais le type semble avoir senti le spectre d'un bain dans la Seine lui frôler la combinaison, et il repart. Pas ingrat, je luis lance un grand "merci".

Bon, il y a encore du boulot, car, si le cimier dont je distingue bien la sculpture d'antilope maintenant s'est rapproché de la berge, je ne peux pas rester là où je suis pour l'atteindre, il faut que je réescalade le perré et me fasse une nouvelle descente quelques mètres plus loin. Ce que j'effectue avec une maitrise quasi parfaite ; un autre arbuste ayant également eu le bon gout de pousser à cet endroit précis. C'est un jeu d'enfant de me saisir de ce trophée magnifique dont le ciel et la Seine réunis m'ont fait don.
Voyez sur la photo ; c'est pas mal quand même : il mesure environ 40 cm de haut ; il est assez bien sculpté et ses lignes sont plutôt jolies.
Après quelques ablutions qui lui ont permis de retrouver un petit air moins crado que quand il stagnait dans les eaux troubles du fleuve, et un parfum compatible avec la civilisation occidentale béconnaise, il trône désormais dans mon jardin. Les feuilles de bambous lui caressent les courbes. Quel bonheur ! Je l'envie presque !